4. La crise

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La disparition de Peace avait chamboulé toute la ville ; ses « sujets » étaient à la fois désespérés et enragés d'être laissés en plan, ce qui n'était pas surprenant ; le Roi de la Zone était tout aussi perplexe, il ne savait plus quoi faire de son armée, et avait peur que ce ne soit encore une des ruses de Peace pour parvenir à ses fins. Il avait fini par sombrer dans une paranoïa aigue, il ne faisait plus confiance à personne, enchaînait les crises d'angoisse, et les rumeurs les plus folles racontaient qu'il n'en dormait plus de la nuit. Les traces de la guerre Impératrice VS Roi de la Zone avaient été effacées, et il ne restait comme vestige qu'un déchet humain, dévoré par la peur. Son royaume s'était vidé petit à petit, lassé par la personnalité instable de son souverain. Beaucoup de gens pensaient que c'était le but de Peace, qu'elle avait réussi son coup sans se battre, ce qui était très malin ; mais Peace n'était pas revenue. Au bout de quelques mois, lasses d'attendre le retour de l'Impératrice, les langues s'étaient tues pour plonger la ville dans le silence.

Depuis, il ne se passait pas un jour sans que je ne pense à elle. Notre nuit ensemble repassait en boucle dans ma tête. J'aurais pu tout lui dire cette nuit-là ; tout ce que je ressentais pour elle, à quel point je l'avais dans la peau depuis ces années. J'étais confus, perdu. Éperdument amoureux. Mais tellement faible. Elle aurait pu me demander ce qu'elle voulait. Au fond de moi, j'avais peur qu'elle me prenne pour un con, comme avec tous ses ex.

Elle avait toujours considéré les hommes comme s'ils étaient de la merde ; elle avait développé un immense mépris envers tout individu masculin au cours de sa vie...

Peace n'avait jamais connu son père : Lina pleurait dès qu'elle en parlait, et Peace refusait de décrocher un mot sur le sujet. Mais tout le quartier savait ce qui s'était passé : Lina avait eu une liaison avec le PDG de l'entreprise de luminaires située en banlieue. Elle l'avait rencontré dans la maison de ce dernier, alors qu'elle était l'infirmière à domicile de son père, gravement malade ; quand ce dernier était mort, elle l'avait beaucoup soutenu et l'avait aidé à reprendre l'entreprise, et elle avait fini par tomber amoureuse de lui. Un poil mégalo, il était cependant plein d'ambition et très charismatique, et avait brillamment repris le flambeau. Mais Lina était toujours restée dans l'ombre.

Lui et Lina avaient vécu une relation cachée, très intense ; elle était folle de lui. Quand il s'était marié avec une riche héritière, elle l'avait pris comme un coup de couteau dans le cœur. Il ne l'avait pas quittée pour autant ; il continuait à la voir en secret. Timide et fragile, elle s'était contentée de ce qu'il lui apportait. Un an après son mariage, Lina lui avait avoué qu'elle attendait un enfant de lui ; mais comme pour la punir, le hasard avait fait que sa femme était tombée enceinte au même moment. Le fringant patron avait dû faire un choix ; et il n'avait pas choisi Lina.

Honteuse, rejetée par sa famille, sans toit, sans argent, incapable de travailler, Lina avait traversé une période terrible, et elle avait bien failli perdre son enfant. Sa vie avait changé le jour où elle avait rencontré Simone Keller, une des marraines du foyer où elle avait atterri ; enceinte jusqu'aux yeux, très amaigrie et fatiguée, elle se laissait mourir dans un coin, priant pour que son bébé s'en sorte. Simone était venue un samedi pour jeter un œil sur les travaux d'un escalier qui était à deux droits de s'effondrer. C'était là qu'elle avait vu Lina, recroquevillée sur son gros ventre. La marraine l'avait prise sous son aile et l'avait accueillie chez elle en attendant son accouchement. C'était donc dans une chambre de l'appartement luxueux de Simone que Peace Virginia Simone Keller avait poussé son premier cri, dans les bras de sa mère, assistée d'une sage-femme et de son ange gardien.

Lorsque le problème du nom de famille était, il était hors de question pour Simone que Peace porte le nom de son père ; Lina était trop faible pour répliquer, mais elle avait réussi à dire qu'elle préférait que sa fille ne porte pas son nom à elle ; elle avait trouvé ça hypocrite d'affubler son enfant du nom d'une famille qui l'avait rejetée. C'est ainsi qu'on avait donné à Peace le nom de Simone, la « seule vraie famille » de Lina.

Peace and LoveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant