Peace and Love

13. Incompréhension

Nous sommes à bord de Blue Jeans, une énième fois. Pas à l'avant, mais à l'arrière. Dans le capharnaüm qui y règne, Simon dort profondément, roulé en boule sur un vieux matelas ; je dois avouer que pour ma part, j'ai du mal à trouver le sommeil. Après ses révélations, aucun de nous deux n'a eu le courage de lire la fin du journal de Peace. Mais lui, ça ne l'empêche pas de dormir : comment fait-il pour avoir l'esprit aussi apaisé ? Moi, la conversation qu'il a eu avec Peace tourne en boucle dans ma tête. Il a très bien pu mentir, mais je le sentais si sincère... de toute façon la suite des événements me dira bien s'il l'était vraiment.

Je ferme les yeux. Peace, Peace, Peace... qu'est-ce que tu as fait ? Serait-ce ta passion dans la vie de décevoir et laisser tomber ceux qui comptent sur toi ? Et où es-tu maintenant ? Simon pense que tu es morte, sûrement étouffée par ton ego et ton arrogance, ou déshydratée par ta soif de pouvoir. Mais je ne le crois pas ; à vrai dire, je le comprends mieux maintenant. Je pensais que sa haine n'était due qu'à sa guerre avec Peace, je saisis que derrière tout ça il y a une blessure bien plus profonde que ce que je pouvais imaginer. Il lui en veut de l'avoir abandonné, et surtout de l'avoir trahi... elle avait promis d'être là, de l'aider à surmonter ses craintes et ses impuissances, et elle l'a laissé en plan sans aucune explication, ne laissant derrière elle qu'une liasse de feuilles, lesquelles ne devaient pas avoir beaucoup de sens pour lui, sans le reste du journal. Je jette un œil à mon téléphone. Je n'ai pas reçu de nouveau message de Peace, ou de la personne qui se fait passer pour elle. D'un côté, c'est plutôt une bonne chose que Simon la croit morte : s'il apprend qu'elle est vivante, il voudra sûrement la tuer, et c'est compréhensible.

J'ai de plus en plus de mal à en vouloir à Simon. Il ne m'a rien fait personnellement, mais... Je ne sais pas, j'ai toujours évolué dans l'idée qu'il fallait en vouloir mortellement aux gens comme lui. Les violeurs, les meurtriers, les menteurs, les psychopathes, etc. Mais au fond de moi, je commence à... me mettre à sa place. Je ne le vois plus comme un pauvre type qui n'a pas eu de chance et que les événements ont poussé à faire ce qu'il a fait. Je me fige. Est-ce que je saisis seulement l'horreur de ses actes ? Le mal qu'il a pu faire à des innocents ? Qu'est-ce qui me prend de pardonner aussi facilement ses crimes tout simplement parce qu'il a souffert ? Beaucoup de gens ont souffert autant, parfois plus, et n'en sont pas arrivés à de telles fins. Mais qu'est-ce que je raconte... Cette aventure m'a appris que chacun a sa propre manière de réagir, de penser, de vivre. Surtout face à la douleur. Et ce n'est pas à moi de lui pardonner. Et personne n'est jamais totalement blanc comme neige. Et suis-je le mieux placé pour juger ? Ma tête bouillonne. Je ne me suis jamais senti aussi divisé. Où est passé le gentil Tonino qui savait être gentil, discret, qui ne disait jamais un mot de trop ? Qui n'avait jamais de doutes sur le bien et le mal ? Toute cette histoire m'a fait grandir, c'est sûr. Mais n'ai-je pas grandi de travers ?

Un ronflement de Simon me sort de mon tourbillon de pensées. Je ne peux m'empêcher de sourire : il est mignon quand il dort... je l'observe à la dérobée. Quand je pense aux rumeurs qui le faisaient passer pour un monstre immense, estropié, le teint rouge, les dents jaunes et l'œil crevé. Il paraît tellement angélique, je craque complètement. Je n'aurais jamais pensé dire ça un jour d'un garçon, surtout pas de Simon. Mais nos baisers et ses révélations m'ont ouvert les yeux. Je ne veux pas de relation sérieuse, du moins pas pour le moment ; je veux juste... profiter de sa présence, laisser évoluer les choses, pouvoir m'épanouir dans mes tout nouveaux sentiments. Ne pas me prendre la tête. Je me suis déjà posé assez de questions avec Peace, je ne vais pas refaire la même erreur. Avec elle tout était en équilibre précaire, sur le point de tomber et de se briser, alors qu'avec Simon j'ai l'impression que je peux vraiment construire quelque chose : ça ne va probablement pas être facile, mais ça l'était encore moins avec Peace. Si cette aventure m'a appris quelque chose, c'est bien qu'il faut oser prendre des risques, dans sa vie active et amoureuse. Il est temps de commencer à en prendre.