Peace and Love

10. Trouille-sur-Mer

« On est arrivés. »

Je me réveille difficilement, engourdi par le froid. En ouvrant mes yeux, la première chose que je vois, c'est la mer. Pas une jolie mer bleue turquoise avec une plage de sable fin, mais une eau grisâtre qui se confond avec le ciel nuageux et les rochers. Le vent fait s'agiter les vagues et les rares cerfs-volants.

Les seules choses qui colorent ce triste décor sont les cabines de bain rouges et blanches qui semblent sortir d'un vieux film, et le cabanon du marchand de glaces et churros.

En descendant de Blue Jeans, l'air glacial me gifle violemment. Je me tourne vers Simon ; il ne semble pas particulièrement dérangé par la température, mais étant donné les hivers qu'il a passé seul dans sa tente mal isolée ça n'a rien d'étonnant.

Instinctivement, je me dirige vers la plage. Nous sommes là pour trouver les pages du carnet de Peace, mais j'ai le besoin inexplicable d'aller là-bas. J'enjambe quelques algues agglutinées, j'écrase quelques coquillages, je sens mes chaussures s'enfoncer dans le sable, et me voilà face à la mer. Il fait un froid de canard, mais je retire mes chaussures et m'avance petit à petit. Je laisse d'abord l'écume me chatouiller les pieds, puis je retrousse le bas de mon pantalon et avance dans l'eau. Je dois être gelé des orteils jusqu'aux mollets, mais j'en m'en moque. C'est comme si l'océan me lavait de toutes mes erreurs et tous mes péchés. Et Dieu sait quelles bêtises j'ai pu faire depuis que je suis parti de chez moi. Je ne peux m'empêcher de penser à mes parents, et cela me tord les entrailles ; malgré nos disputes et nos désaccords, ils ont toujours été là pour moi, et les savoir plongés dans l'inquiétude me brise le cœur : j'ai l'impression d'être un fils indigne. Presque pire que Simon.

Je sursaute quand je me rends compte que ce dernier est arrivé derrière moi sans un bruit. Nous nous regardons droit dans les yeux ; ses yeux sont rouges et enflés, et ses paupières semblent tellement lourdes... Je me demande combien de temps il a conduit... je me sens presque coupable de ne pas lui avoir dit de faire une pause et dormir. Il a l'air si vulnérable, si perdu, comme un bébé qui vient de naître. Alors sans réfléchir, je prends son visage entre mes mains et pose mes lèvres sur les siennes.

A ce moment-là, le temps s'arrête. J'oublie les gamins qui jouent un peu plus loin, le froid qui me mord la peau, la raison pour laquelle nous sommes là. Ce baiser n'a rien à voir avec ceux de Peace. Il est chaste, doux, spontané. Je relâche mon étreinte et recule mon visage du sien. Il semble choqué, mais autre chose... presque... reconnaissant. Il me sourit timidement. Il est presque mignon quand il sourit.

Mais ce sourire est de courte durée ; en à peine 2 secondes, son visage s'assombrit. Il me tourne le dos et part à grandes enjambées vers la promenade qui borde la plage. Je reste donc planté là, sans savoir comment réagir. De milliers de questions se bousculent dans ma tête. Et une d'elle revient en boucle : pourquoi l'ai-je embrassé ?

Je me suis toujours considéré comme hétéro, surtout que j'ai toujours été amoureux de Peace. Cette dernière détestait l'idée de se définir par une orientation sexuelle, mais de toute façon Peace n'a jamais, à ma connaissance, ressenti de l'amour pour quelqu'un.

Mais serait-il possible que j'ai changé de camp ? Ou alors j'aime les femmes et les hommes ? Pansexuel ou bisexuel ? Et surtout, suis-je vraiment prêt à tourner la page de mon histoire avec Peace ? Si je passe à autre chose, ma quête a-t-elle vraiment un sens ?

Mille questions tourbillonnent dans mon esprit, mais une revient régulièrement à la charge pour que je réfléchisse à une réponse : ma relation avec Simon a-t-elle un avenir ? Et est-ce que j'ai vraiment envie de cette relation ?

La pluie qui se met à tomber me ramène à la réalité. Ce n'est pas une averse, juste un crachin, mais ce n'est pas pour autant que je dois rester planté là à me geler les miches.