3. Toi + Moi

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J'étais dingue d'elle. Je le suis toujours. Dingue, c'est le mot. Un ver de terre amoureux d'une étoile, ou plutôt un fou amoureux d'une autre encore plus folle. Amoureux transi des incendies dans les yeux d'une meurtrière.

Après l'épisode « Queen Peace révèle à un pauvre gars qu'elle voulait tuer le Roi de la Zone alors que le pauvre gars en question avait fait les frais de son plan en la découvrant à moitié morte dans la neige », je n'avais pas reparlé à Peace. Mais il ne se passait pas un jour sans que je pense à elle tout en remarquant l'ironie de son prénom : Peace, « la paix », était tout sauf paisible. Un ouragan était moins dévastateur et terrifiant qu'elle.

Quand elle était sortie de l'hôpital, j'avais eu peur que le Roi et ses sous-fifres ne cherchent à la planter une deuxième fois. Tellement peur que je l'avais suivie chaque soir pendant plusieurs mois pour être sûr qu'elle rentrait sans encombre. Mais de toute évidence, il pensait que le fait que Peace ait réussi à s'en sortir montrait qu'elle était bien plus coriace qu'elle n'en avait l'air. J'avais eu peur pour moi aussi, peur qu'il comprenne que la vie de Peace n'avait été sauvée que par le pauvre gars que j'étais. Heureusement, il semble que mon intervention ne soit jamais remontée à ses oreilles. De mon côté, je priais pour que Peace ne recommence pas à essayer de le piéger ; mais curieusement, elle pencha vers une autre tactique : si le Roi avait son armée et son royaume, qu'est-ce qui l'empêchait de s'en trouver aussi ? Elle avait alors réuni toute sa cour, entre ses amis et ses esclaves qui avaient trop peur d'elle pour lui résister. La cicatrice qu'elle exhibait lui donnait un statut de dure à cuire, que son petit gabarit ne faisait qu'accentuer. Elle avait élu ses quartiers dans la partie haute de la ville, et s'était surnommée l'Impératrice.

A cette époque, j'étais un garçon assez solitaire et tranquille, et je n'avais que 2 ou 3 amis que je voyais rarement en dehors des cours. Aucun d'eux n'était pote avec Peace, ce qui était pour moi une bénédiction. Mais ce qu'on a appelé la Guerre des Royaumes avait pris une telle ampleur que plus personne n'ignorait ce qui se passait : quand le Roi et l'Impératrice se croisaient, ils rivalisaient de courtoisie et d'hypocrisie, alors qu'on savait pertinemment que dans leur dos ils échafaudaient des plans incroyables pour vaincre l'adversaire.

Les adultes devenaient dingues, à force de voir des ados à la main en sang ou au visage tuméfié, la police avait fini par s'en mêler, sans grand succès puisque dès qu'on leur demandait ce qui leur était arrivé, chacun répondait « je suis tombé. »

Le Roi et L'Impératrice, même s'ils étaient pires ennemis, étaient tombés d'accord sur le fait que les grands ne devaient pas s'en mêler : c'était une affaire entre jeunes, jeunes cons, jeunes blessés, jeunes dangereux mais jeunes tout de même.

Le pire c'était les gens comme moi, qui n'avaient rien demandé mais se retrouvaient en plein milieu d'une guerre civile.

Nous n'avions jamais autant rêvé des vacances ; elles sonnaient comme une délivrance, loin de notre ville salie par la haine et le mépris de chacun des clans.

D'habitude j'allais chez mes grands-parents avec ma famille, ce qui promettait des soirées Scrabble trépidantes et des interrogatoires sur nos notes et notre vie amoureuse, mais cet été les choses avaient été différentes : mon meilleur ami m'avait proposé, à moi et à un autre pote, de venir passer deux semaines dans sa maison de vacances dans le Sud. J'avais tout de suite accepté et mes parents aussi.

J'avais passé le plus bel été de ma jeunesse : barbecue et grillades, vélo sous la pluie, camping dans la forêt, retapage d'une vieille voiture torses nus sous les chants des cigales, et pique-niques dans les champs de blés. Et ces soleils couchants qu'on regardait sur le perron de la cabane, ce petit appentis au robinet rouillé, aux torchons sales et aux meubles poussiéreux. Plus que l'endroit c'était la lumière qui était magique : la Golden Hour, l'heure d'or, qui baignait nos visages et brillait dans nos bières ; elle nous procurait ce bien-être absolu, tellement reposant et éloigné de la ville salie par les tags anonymes et l'atmosphère tendue.

Peace and LoveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant