Peace and Love

7. Non

Si ce que vous avez lu vous rappelle quelque chose, c'est normal. Je me suis inspirée d'un épisode de « Le jour où tout a basculé ». Il est important d'élargir sa culture, et pas forcément en allant au musée. Vous serez surpris d'apprendre qu'un jeu de drague m'a aidé à cambrioler une maison.

Mais revenons à nos moutons. Avec Anna nous commencions à regretter de ne pas avoir mieux préparé notre plan. Nous ne savions même pas où était le fils à papa, comment l'endormir, comment justifier son départ. Quand à mon père... impossible de le trouver. Mais la chance nous a souri d'une manière plutôt ironique. A force de tourner en rond dans la baraque, on a fini par trouver le bureau. Nous savions qu'il y avait quelqu'un, nous entendions du bruit à l'intérieur ; c'est là que nous avons eu la merveilleuse idée d'entrebâiller au lieu d'entrer avec fracas. Vous ne devinerez jamais la surprise que nous avons eue. Et le dégoût. J'aurais aimé vous dire qu'il était en charmante compagnie, qu'Anna et moi n'avons eu qu'à filmer la scène, que nous avons pu partir sans même qu'elle ait à se souiller. J'aurais aimé découvrir que mon père était au téléphone avec ma mère pour lui présenter ses excuses et lui offrir un manoir et un million d'euros. J'aurais aimé découvrir que mon père n'était pas le connard que je pensais qu'il était.

J'aurais aimé ne pas prendre conscience que mon père, en plus d'être un homme d'affaires véreux, infidèle, snob et égoïste, était un violeur. Et un pédophile par la même occasion. Et par-dessus tout j'aurais aimé aider la pauvre petite à s'échapper au lieu de sortir mon portable pour enregistrer les images compromettantes. Et puis partir comme si rien ne s'était passé pour retourner faire la fête.

J'aurais aimé pouvoir effacer à jamais ces images de ma mémoire. Mais je ne peux pas. Et il fallait que j'aille jusqu'au bout. Pour l'honneur de cette enfant à qui j'ai pris l'innocence, pour ma mère pour qui j'avais fait tout ça, pour toutes les femmes qui sont passées dans le bureau de mon père.

En revenant vers la piscine, Anna a eu la présence d'esprit de ne rien dire. Je me sentais glacée, mais la rage bouillait au fond de moi.

Dans l'histoire on avait totalement oublié le kidnapping. Mais après ce que nous venions de vivre étions-nous prêtes à faire souffrir un autre innocent ? Je ne portais peut-être pas mon demi-frère dans mon cœur, mais son seul tort était d'être le fils de mon salaud de père.

J'interromps ma lecture, sous le choc. Peace nous avait prévenus que nous n'étions pas prêts à entendre ce qu'elle avait à nous révéler, mais à ce point... Je me tourne vers Simon et à mon grand désarroi, ses yeux sont rouges et des larmes coulent sur ses joues.

« Tu pleures ? je demande bêtement.

- Non. »

Je n'essaie pas lui tirer les vers du nez et je prends conscience que j'étais loin de tout savoir sur lui ; il a dû vivre pas mal d'épreuves pour en arriver là. Je respecte sa détresse et je me tais. Plusieurs minutes passent mais il sanglote toujours. Maladroitement je lui prends le bras et frotte son épaule dans l'espoir de le consoler. Il se raidit mais ne me repousse pas. Nous restons encore un moment ainsi enlacés. L'odeur de ses vêtements ne me gêne plus autant qu'avant. Vais-je découvrir une belle âme sous ce sweatshirt sale ? Je commence à m'en vouloir de l'avoir jugé aussi vite. Je n'ai pas l'impression d'avoir dans mes bras un meurtrier, mais un jeune garçon fatigué de la vie.

Simon s'écarte et essuie ses yeux encore humides, tout en m'incitant à reprendre la lecture.

Pas besoin d'aller plus loin. En enlevant mon demi-frère je me rendais coupable du même crime que mon père : détruire la vie de personnes qui ne m'avaient rien fait, pour mon plaisir personnel. J'avais déjà bien assez pour briser la vie professionnelle et privée de mon géniteur.