5. Sa Majesté

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Si vous imaginiez la Zone comme une vaste étendue de maisons blanches avec un palais doré en plein milieu, c'est râpé. La Zone, c'est un royaume de bidonvilles inhabités, tout en bas de la Grande rue. La grande majorité des « bâtiments » est effondrée, envahie par les rats et les toiles d'araignée. Mais en haut d'une pile de voitures, on peut apercevoir une grande tente brinquebalante. Comment fait-elle pour tenir ? Aucune idée. Mais ce qui frappe le plus, c'est que l'endroit est désert. On entend parfois un toit qui craque ou une carcasse de bus qui tombe, mais rien de plus. Tout le monde a laissé tomber le Roi.

Je m'avance vers la tente et je m'arrête juste devant. C'est plus dangereux que ce que j'avais prévu. L'équilibre de ce truc m'a l'air douteux mais ai-je vraiment le choix ? Je veux trouver des réponses. Je commence à escalader, en vigilance constante d'où je mets les pieds. Lorsque j'arrive enfin en haut de la montagne de caisses, je sens une forte odeur d'alcool et de marijuana. Mais ce n'est rien par rapport au triste spectacle de l'intérieur. Le sol est jonché de bouteilles d'alcool, la plupart explosées, et des rats grouillent dans les coins. Quant au propriétaire... il n'est pas en meilleur état. Totalement avachi sur un canapé défoncé, il ne me parait pas de première fraîcheur, comme un pot de crème qu'on a oublié au fond du frigo.

Je ferme les yeux. L'odeur est abominable et je pense que ça ne fera qu'empirer à l'intérieur de la tente. Comme il fait nuit je ne vois pas les rats, et j'ai moyennement envie de me faire grignoter les orteils. Je m'avance doucement et, prenant mon courage à deux mains et enfonçant mon nez dans mon col, j'entre. Au fur et à mesure, je m'approche du canapé. Un tas de fringues dégueulasses et une paire de tennis déchiquetés est posé sur ce qui semble être... un corps ?

Mon sang se glace. Depuis le temps je dois être le premier à venir voir comment se porte l'ex-Roi. Se pourrait-il que... qu'il soit mort ?

J'amorce un mouvement de recul alors qu'un petit cri ridicule sort de ma bouche.

Soudain le tas remue. Une tête sort d'un sweatshirt, tête munie d'yeux qui se braquent sur moi. Des yeux injectés de sang. Une chevelure grasse et raide sort alors, suivie par un nez cassé et les lèvres gercées. Les lèvres s'entrouvrent pour marmonner un « glrmbrdlbrm » tandis que le tas se redresse. Les yeux me fixent, à la fois méfiants et curieux, comme si leur propriétaire était un petit animal sauvage qui rencontre un homme pour la première fois. Mais il ne dit rien et continue de me toiser. Au bout de ce qui m'a semblé être une éternité, j'ai lâché un pitoyable : « Salut. »

Pas de réponse.

« Je viens te parler... de... »

J'avoue avoir peur qu'il réagisse mal si je parle de Peace. Mais d'un côté je n'ai pas vraiment le choix, au moins pour ne pas avoir escaladé pour rien.

« Il faut qu'on parle. »

Contrairement à ce que j'attendais, il s'est mis à rire. Mais pas un petit rire. Un vrai fou rire, un rire de porc avec des postillons. Heureusement qu'il n'est pas face à moi.

« Et parler de quoi mon couillon ? » ricane-t-il.

Mon dieu que j'ai envie de lui casser la gueule. Je suis le premier être humain qu'il ait vu depuis un bon moment et il se comporte aussi bien qu'un gamin surexcité le jour de Noël ; s'il compte sur moi pour être sa petite infirmière soumise il se fourre le doigt où je pense. Retenant l'envie de le frapper, je prends sa couverture et le fait tomber de son canapé.

« Aaaïe ! Mais mec t'as pété un plomb ! Qu'est-ce qui te prend ?

- Tu vis entouré de rats et passe tes journées à boire, fumer et dormir. Si quelqu'un a pété un plomb c'est toi. »

Peace and LoveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant