Chapitre 18

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   « Je peux avoir quelques explications ou c'est trop demander ? »

   Nous sommes déjà loin, au large. J'ai donné mes directives au capitaine afin qu'il nous mène à bon port, comptant sur son efficacité pour y parvenir d'ici deux semaines au plus tard. Ce dernier m'a laissé sa suite, composée d'une chambre spacieuse dont les grandes fenêtres donnent sur un semblant de balcon ainsi que d'une salle d'eau tout aussi volumineuse. C'est plutôt luxueux pour un petit capitaine sans envergure, tant les tableaux dont le cadre est moulé d'or, les tentures de velours qui entourent le lit à baldaquin et la carpette tressée des lointains confins de notre monde relève d'une mode de vie aisé.

   Law est assis à même le secrétaire et se masse les poignets, endoloris par les menottes trop serrées. Il contient sa colère, mais son front plissé et ses mâchoires crispées le trahissent. Même sali par la crasse, la graisse et le sang, il ne perd rien de sa superbe, arrogant et incisif de par son regard métallique qu'il darde sur moi.

   « Avant toute chose, laisse-moi mettre au clair quelques points, dis-je en me déshabillant, incommodée par le lourd tissu blanc de la robe. Si tu fais ce que je te dis, je te garantis que tu rentreras vivant au Polar Tang. En bon état, je l'espère pour toi, mais je préfère ne pas trop m'avancer.

   — Donc je suis engagé contre mon gré dans une entreprise dont je ne sais absolument rien avec une femme qui n'est apparemment pas celle que je connaissais, récapitule-t-il en arquant un sourcil de dédain. Merveilleux. Autre chose ? »

   Je soupire et m'assieds sur le bord du lit, en face de lui. Il faudrait un récit rétrospectif sur ma vie entière pour qu'il comprenne pourquoi j'en suis là. Il faudrait parler des années passées recluse dans ma chambre, des expériences auxquelles j'ai été soumise, des cris, des pleurs, de la peur, du rejet, de la cruauté, de la solitude. Il faudrait parler du faste, du luxe, de la richesse qui ne m'ont jamais été permis. Il faudrait parler de ma naissance, de mon frère, de ma famille, de mon amie, de sa mort, de ma fuite, de ma libération. Il faudrait parler de tellement de choses, de toutes ces choses qui m'ont amenée ici, qui font que je suis à bord de ce navire en destination de la demeure où j'ai passé mon enfance.

   « Je suis issue de l'une des dix-neuf familles de Dragons célestes. » Je m'interromps, incertaine quant à ce que je dois dire, tant les mots et les souvenirs s'emmêlent dans mon esprit. Law me fixe, attendant la suite sans bouger. Je passe ma langue sur mes lèvres sèches et reprends. « Je suis atteinte d'albinisme, tu as pu le constater, un albinisme oculo-cutané. Les Dragons célestes sont la perfection incarnée, ils ont donc très mal considéré cette enfant toute pâle, aux iris entre le rouge et le violet, tellement rachitique qu'elle aurait pu mourir dans l'heure de sa naissance. Je...J'ai un frère jumeau. Châtain, bronzé, grand, beau, musclé. Le meilleur de la fratrie, la personnification même de la perfection à la fois morale et physique selon leurs critères. Nos parents l'ont éduqué comme leur fils unique. Pendant ce temps... Et bien, j'étais considérée comme une erreur, une erreur qui pouvait s'avérer utile pour les folies des Dragons célestes. Tu sais que Vegapunk est le plus grand scientifique au monde, mais les Dragons ne lui font pas confiance. Ils préfèrent développer leur science de leur côté, développement auquel j'ai contribué malgré moi en devenant une cobaye sujette à toutes sortes d'expériences. Pendant dix-sept ans. Puis je me suis enfuie. Et là j'y retourne pour les faire payer. »

   C'est essoufflée que je clos ma tirade, surprise d'avoir autant parlé. Je fais craquer mes doigts, rabats mes cheveux derrière ma nuque et lève les yeux vers Law qui n'a pas cillé. Il me renvoie mon regard sans rien dire, continuant de frotter les marques rouges sur ses poignets. J'ignore si c'est parce qu'il a vraiment mal ou si c'est simplement pour me faire culpabiliser. Le silence s'épaissit dans la chambre sans que personne ne semble vouloir le briser. Je soupire de nouveau et croise les bras.

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