Chapitre 1

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    J'arrête d'un coup sec mon escargophone qui allait se lancer dans un discours enflammé sur Calm Belt. Quelle idée de choisir cette...chose comme réveille-matin... Comme réveil-nuit plutôt. Un coup d'œil endormi à ma montre m'indique qu'il est tout juste trois heures. Je ne sais pas ce dont j'ai le plus envie : me rendormir ou faire frire cet escargophone avec des petits oignons et des lardons puis le donner en pâture aux créatures marines qu'il affectionne tant. Sans doute la seconde option.

    Je suis cependant prise de pitié devant le regard embué de larmes que me renvoie cet ustensile multifonctions dont la nature ambiguë d'être vivant reste à définir. Je soupire puis me lève, résignée. Inutile d'essayer de retourner dans les bras de Morphée, il m'a définitivement rejetée de son étreinte. Je vacille jusqu'à la minuscule salle de bain que l'auberge a mise à ma disposition et m'asperge le visage d'une eau glaciale qui me pénètre jusqu'à l'os. Congelée, je m'emmitoufle dans mon long manteau noir puis sors de mon sac une pierre à aiguiser qui a bien servi ainsi qu'un chiffon autrefois immaculé. Je saisis mon arme adossée au mur, m'assieds dans une grimace engourdie sur la chaise et entreprends d'en nettoyer consciencieusement les lames. Je fronce les sourcils à la vue d'une rayure sur la surface métallique. Il ne s'agirait pas que mon matériel soit endommagé, surtout vu tout le soin que je lui porte.

    Nettoyer, astiquer, aiguiser, polir mon instrument me prends facilement une heure et j'achève mon travail dans un cri victorieux qui me vaut un exposé sur East Blue de la part de l'escargophone, jusque-là muré dans un silence reposant et providentiel. Je renonce à toute tentative de le faire taire : ce thème est l'un de ses favoris, il est intarissable sur la question. J'ai déjà eu droit à des heures et des heures dignes des conférences les plus prestigieuses sur le sujet et pourtant, il parvient toujours à étoffer ses propos. Un être fascinant, vraiment.

    « ...territoire représente un foyer d'où prolifèrent une sacrée brochette de bandits, malfrats et pirates, dont certains des plus éminents membres de la « Génération Terrible ». Nommons parmi eux les deux membres les plus dangereux de l'équipage de Luffy au Chapeau de Paille, lui-même et son second Roronoa Zoro, anciennement chasseur de primes dans les eaux d'East Blue. Carrière fructueuse ou non, nous n'en savons pas plus, cependant sa réputation en tant que pirate sanguinaire sur la périlleuse mer de Grand Line n'est plus à refaire. »

    Je me fige instantanément en entendant cela. Le ton monotone du den-den-mushi est tout à coup bien loin de m'endormir. Je continue de l'écouter, attentive à l'excès pour ne pas louper une miette de ce qu'il va dire. Mon cœur pulse à mes oreilles, roulement de tambour épique qui n'a d'autre effet que me faire froncer les sourcils et pincer les lèvres de concentration.

    « L'équipage se dirige actuellement vers l'île de Kalieda, accompagné de celui du Heart. »

    Je bondis de mon fauteuil, entraînant un sursaut chez le moulin à paroles, interrompu dans son monologue. Le regard chargé de toute l'indignation du monde qu'il m'envoie m'aurait arraché un sourire si je n'étais pas en train de me triturer les méninges comme rarement je l'ai fait. Je me rassieds doucement, les yeux plissés dans une grimace de réflexion intense tandis que l'escargophone reprend son développement construit en trois axes et huit sous-parties. Mais je n'écoute déjà plus. Chapeau de Paille va venir ici, sur Kalieda. Si ce n'est pas un coup du destin, ça !

    Un sourire étire finalement mes lèvres.

    C'est l'heure.

~*~

    Je descends l'escalier en me prenant les pieds dans mes lacets jusqu'à la taverne, au rez-de-chaussée. Drapée dans mon large manteau, bien trop pour moi, je cherche une place libre. Mains engoncées dans les poches profondes, capuche élimée rabattue sur les yeux, de quoi passer à la fois inaperçue et très suspecte. Camouflage cependant mis à mal par mon arme, colossal objet que l'on peut difficilement dissimuler, même avec toute la bonne volonté du monde. Elle-même enroulée dans une épaisse tenture sombre dans une vaine tentative de discrétion, elle ne fait que rendre mon accoutrement encore plus louche.

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