Chapitre 20

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   Merde. Putain de merde. J'ai la poisse, une poisse monstrueuse.

   Il pleut. J'y crois pas, il pleut. Sur une île estivale, en plein solstice d'été. Une bruine légère et tiède qui pénètre jusqu'à l'os et détrempe la terre. Jamais je ne pourrai démarrer un incendie avec une telle humidité dans l'air. Bon sang, comment puis-je autant jouer de malchance ?

   J'ai déployé un perturbateur magnétique dont le champ couvre toute l'île. Les Den Den Mushi étant des animaux, ils seront trop confus par la variation du champ magnétique pour correctement émettre et recevoir des informations. Voilà qui isole complètement l'île de l'extérieur. La suite des événements sera un véritable huis clos à ciel ouvert.

   Le navire est amarré dans une crique à l'écart du port principal. Nous y avons passé une nuit agitée au cours de laquelle ni Law ni moi n'avons convenablement dormi. Au loin, je perçois la clameur des marins émanant des gigantesques bateaux de Dragons qui accostent. L'île va se remplir progressivement, en espérant que nul ne sera découragé par la pluie. Ça s'annonce mal, tout ça.

   « C'est par...

   — Tais-toi, » je l'interromps. Je n'ai pas envie de l'écouter débiter sa science et son mépris. « Il nous faut entrer dans le château. Impossible de mettre le feu par l'extérieur.

   — Je hais les changements de plan à la dernière minute, grogne-t-il en s'abritant sous un arbre pour fuir la pluie. Tu aurais dû prendre la météo en compte.

   — Je n'avais pas de baromètre sous la main, d'accord ? je réplique, plus agacée par le fait qu'il ait raison que par son humeur désagréable. On a pas le choix, il va falloir attendre que tous les invités soient entrés avant d'investir le château. Tu peux créer une sphère autour de tout le bâtiment ?

   — Pas longtemps, je me fatiguerai vite. »

   Rien ne va, rien ne va. Il va falloir tout faire à la main. Se traîner des bidons d'hydrocarbures et en reverser le contenu dans chaque couloir, chaque escalier, chaque pièce. Je soupire et m'accroupis, ne sachant comment contenir ma frustration. Je brûle d'impatience, je meurs d'appréhension, je suis surexcitée. Mais là, place à la réflexion. Il faut revoir tout le plan, et vite.

   Je ne sais combien de temps nous restons là, à l'ombre d'un acacia, à écouter la pluie marteler doucement les feuilles et à surveiller l'arrivée des invités. Lorsqu'il nous semble qu'il n'y a plus de nouveaux arrivants, nous sortons de notre cachette et nous séparons après un dernier signe de tête entendu. Je lui ai ôté son collier de granite marin. Il est désormais libre, apte à me trahir comme je l'ai fait et à me laisser en plan ici. Néanmoins, c'est avec un pincement au cœur vite remplacé par l'intensité de l'adrénaline que je m'élance à découvert. Ma hache sur le dos, je cours jusqu'à l'aile est de la demeure jusqu'à parvenir devant un buisson de roses blanches. A côté des fleurs, une fenêtre et des barreaux au ras du sol. J'ouvre ma trappe et en sors une batterie ainsi qu'une disqueuse. Je branche l'une à l'autre et allume l'engin qui s'éveille dans un hurlement qui me vrille les tympans. Je suis censée être suffisamment loin de la salle de banquet pour ne pas être entendue. Serrant les dents et plissant les yeux au maximum, je coupe les quatre barreaux à leurs extrémités pour me permettre d'accéder à la fenêtre. Les myriades d'étincelles projetées, bien que rapidement soufflées par la bruine, me picotent les mains, le visage et le cou.

   Plus encore que la disqueuse, c'est l'ironie de la situation qui m'est la plus douloureuse. Me voilà en train de rentrer par effraction dans le lieu que j'ai passé tout mon enfance à vouloir fuir.

   Une fois les barreaux ôtés et mes oreilles détruites, je casse la vitre avec le manche de ma dague. En essayant de ne pas me couper, je saute à l'intérieur de la pièce en piétinant les éclats de verre. La simple vision de cette chambre qui m'a vu grandir et souffrir manque de m'arracher une larme. Il n'y a plus rien. Plus de lit grinçant, plus de chaise bancale, plus de bibliothèque vide ni de tapis rêche. Je pense que ç'aurait été encore plus terrifiant si elle été restée en état, à m'attendre pour m'enfermer encore de longues années.

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