Intervention royale

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Sa majesté interférait dans bien des dilemmes amoureux inextricables et tenait  toujours le rôle patriarcal.
Le rôle...ce terme est plus approprié qu'il n'y paraît. Versailles n'est rien qu'une immense salle de théâtre, où chacun a un rôle à jouer. Et navrée de vous décevoir mais dans une pièce, nous ne sommes pas tous les héros...
Le rôle du patriarche donc.
Un père sacrément autoritaire.
L'allégorie même de la justice et de la retenue.
Pourtant...il parait lui-même ne pas être irréprochable, avoir du mal à se contenir, si j'en juge par rapport au nombre exorbitant de ses aventures...

Cependant j'aurai besoin de lui pour aider Marceline.

Lorsqu'il m'entendit énoncer le problème il leva les yeux au ciel.

« Pearl...j'ai consenti à vous écouter car j'ai de la sympathie à votre encontre. Mais songez bien que si je devais me soucier de tous les mécontentements de mes sujets, la folie ne tarderait pas à me ronger ! De plus, quels sont vos arguments? Un manque d'envie?
On ne se marie pas tous par amour...

C'est à ce moment que je fis une chose dont je ne me croyais pas capable.
Sous l'effet de la révolte sans doute, ou simplement sous l'euphorie du sang qui battait à mes veines, je mis mon peuple d'adoption en mauvaise passe.
Juste pour une histoire de cœur.
Je lui expliquais le pourquoi de ma présence.

-Vous savez, je ne suis pas une demoiselle de compagnie, je suis ici pour vous convaincre votre Majesté de soutenir le roi d'Angleterre, d'une façon peu conventionnelle : en découvrant des secrets de sa Majesté pour les rapporter ensuite au Roi Guillaume.

Il n'avait pas l'air surpris.
Pour appuyer mes révélations, je décidai d'enjoliver la réalité.

-Si votre Majesté ne consent pas à interdir cette union pour une raison inventée, j'inventerai des sottises sur votre Majesté, comme quoi vous projetteriez d'entrer en guerre contre l'Angleterre, et je parviendrais à les faire croire à mon roi.
Il aura alors ce qu'il attendait, à savoir une raison d'entrer en guerre en premier...

Le roi me sourit. Je ne comprenais décidément rien.

-Tu n'es pas ici pour cette raison Pearl.
Tu le découvriras un jour ou l'autre. »

Je me réveillai en sueur, dans un sursaut. Voilà bientôt un mois que, chaque nuit, je revivais cette entrevue avec le Roi, ses paroles sibyllines, ses airs de sphinx, ce mystère dans ses yeux.

Lorsque je l'avais interrogé sur ses dernières paroles, il était bien sûr demeuré silencieux. Il s'était contenté de me dire qu'il inventerait un passé de débauche à ce noble à pustules, afin de faire passer l'envie des parents de Marceline d'unir leur enfant à cet homme fat.

J'en avais touché un mot à Voltaire, mon confident du moment. A Ronaldine je n'avais rien dit cependant.

Voltaire ne semblait pas plus éclairé que moi à ce sujet, il n'était pas en mesure de me dispenser ses lumières, à mon plus grand regret.

Je me levai, la tête lourde de toutes ces questions sans réponses et boutonnait ma robe. Une nouvelle journée grise s'annonçait.

Je conservai l'image du sourire de Marceline lorsque je lui avais annoncé que ses problèmes étaient résolus. Un rayon ensoleillé dans cette grisaille qui m'assaillait de toute part. Un trésor.

Même Ronaldine ne se montrait plus sympathique avec moi. Elle était même plutôt antipathique à vrai dire.
Sans doute à cause des faveurs de la comtesse. Qui finalement n'en étaient pas puisque j'aurai mille fois préféré me réveiller face à une journée qui s'annonçait remplie plutôt que de devoir m'évertuer à trouver des activités.

J'avais la sensation d'être en cage.
Ma prison dorée. Je suffoquais en silence.
Comme en apnée.

La bouffée d'oxygène rédemptrice prit l'apparence d'un coursier.
La réponse de mon père ne s'était finalement pas tant faite attendre, même s'il me semblait que je lui avais écrit une éternité plus tôt. Après réflexions, c'était il y a seulement un mois.

Je remerciai chaudement mon sauveur et je décachetais l'enveloppe, dans un empressement presque fébrile.

Pearl, mon enfant,
Tu n'es pas ici pour la raison que t'a donné le roi Guillaume.
En réalité tu n'es pas anglaise, mais je ne t'apprend rien.
Nous avons fait la lumière sur tes origines depuis quelques années déjà, mais nous ignorions quelle serait la façon la plus appropriée de t'en parler.
Alors nous avons décidé de t'envoyer dans ton pays d'origine, pour que tu côtoies tes amis d'autrefois et que tu fasses la connaissance de ta tante.
Elle devait se montrer froide avec toi, pour que tu ne te doutes de rien, ce dont, la connaissant un peu, elle a dû s'acquitter à merveille.
Tu dois te demander pourquoi deux souverains ont accepté de prendre part à ces retrouvailles familiales.
Il s'avère que la comtesse de Rossigny avait une fille. Qui était dans le même bateau que toi lorsqu'il a fait naufrage.
Tu es le produit des amours de la sœur de cette comtesse, ta mère donc, et d'un certain marquis de Sade. Cela doit te faire un choc, je comprend.
Tu vois bien que nous ne pouvions pas te l'annoncer de but en blanc, d'où cette mise en scène.
De plus, cela va souder les liens entres nos deux royaumes, pour le bien des deux peuples. Nous avons pris soin de toi, ce que le Roi saura apprécier à sa juste valeur. Nous t'avons rendu à ta terre natale mais tu pourras continuer à me rendre visite.
Certains visages de la Cour ont dû te paraître familier, c'est normal.
Tu en connaissais la plupart.
Avec tout mon amour,
Ton père qui ne l'est pas vraiment,
Jack.

Pearl à Versailles [terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant