H A R R Y— Jeune homme, vous pouvez me passer le sel ?
J'acquiesce et m'exécute en le lui donnant, le bras tendu au dessus de la table.
C'est l'homme assis à deux chaises de moi qui me l'a demandé. Il a une grosse voix rauque, une barbe blanche qui a besoin d'être rasée et des lunettes trop grandes pour lui. On dirait qu'il a soixante-dix ans, mais je pense qu'il ne doit pas en avoir plus de cinquante. Je ne sais pas pourquoi, parce qu'il s'est montré aimable, mais il m'effraie un peu. Peut-être que c'est à cause de sa manière un peu sauvage de manger.
Je ne me sens pas du tout à l'aise autour de tous ces inconnus et toute cette nourriture étalée sur la table, alors je garde une main posée discrètement sur la cuisse de Louis, qui est assis à côté de moi. Lui semble être bien. Il mange beaucoup depuis tout à l'heure et répond sans problème à nos hôtes. Au moins, je peux me permettre d'être silencieux comme il parle pour nous deux.
Après être sortis du bus vers treize heures, les muscles engourdis, on a traîné un peu en ville. C'était vraiment différent de Paris, les quartiers étaient plus petits, les gens moins pressés et plus accueillants. Ça sentait moins la pollution aussi. J'ai bien aimé.
On n'est pas restés très longtemps, parce qu'il commençait à se faire tard et qu'on voulait vraiment partir en campagne. On a d'abord pris un bus, puis on a marché et on s'est retrouvés perdus au milieu de nulle part. Nos téléphones n'avaient plus de batterie et il n'y avait personne autour de nous pour nous aider, mais au lieu de paniquer, on a juste ri pendant de longues minutes, le ventre plié avec les abdos qui font mal. C'est certainement ce que je préfère partager avec Louis, en dehors des baisers: les fous rire qui me donnent l'impression d'être ivre sans même avoir bu.
Au final, une voiture est passée et a accepté de nous faire monter. C'était une dame, très bavarde, qui nous a parlé de ses chiens pendant tout le trajet. On a fini par ne plus l'écouter avec Louis et par rigoler en faisant des messes basses; on se contentait d'acquiescer quand elle nous regardait dans le rétroviseur. Je pense que c'était le meilleur trajet en voiture de toute ma vie.
Puis, vers dix-neuf heures, elle nous a fait descendre dans un petit village perdu au milieu des champs et des montagnes. On s'est dit qu'on allait dormir dehors, sauf qu'on a aperçu une habitation un peu reculée dans un champ avec des chevaux, et que c'est sur la liste de Louis, alors on s'est avancés pour tenter quelque chose.
Louis a toqué et on est tombés nez à nez avec une femme un peu joufflue et ridée, aux yeux petits et très sombres mais au sourire chaleureux. Je crois que c'est la conjointe de l'homme effrayant. Louis lui a expliqué brièvement ce qu'on faisait là, puis il a parlé de sa liste et la femme a eu l'air attendrie. Elle s'est absentée quelques minutes, puis elle est revenue en nous disant qu'on pouvait passer une nuit chez eux et qu'on pourrait faire du cheval demain. Louis m'a lancé un immense sourire quand on est entrés à l'intérieur et que la femme nous a guidé jusqu'à une chambre.
Elle nous a demandé si ça nous dérangeait de partager un lit, on a répondu que non en riant un peu. On l'a remerciée pendant une longue minute.
On a posé nos affaires, puis on est rapidement passés à table. Les autres personnes n'ont même pas eu l'air surprises par notre présence, comme si recevoir des inconnus était habituel pour eux.
Autour de la table, il y a la femme qui nous a accueillis, l'homme effrayant, ainsi que deux autres garçons un peu plus jeunes et plus maigres, puis deux adolescentes. J'aurais préféré qu'il y ait moins de monde, mais je ne me plains pas. C'est incroyable qu'on soit ici.
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Our Eternity - Larry Stylinson
RomanceLes yeux de Louis sont brillants, son coeur régis par l'envie de découvrir. Louis a peur et Louis veut vivre, plus que tout. L'estomac de Harry est brûlé, ses poumons étouffés, tout le temps. Harry est vide et Harry veut mourir, plus que tout. Louis...