5 | 'UNE ODEUR D'ALCOOL'

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C'est par une forte odeur d'alcool, de cigarette, et de produits chimiques que Kageyama fut accueilli dans son lieu de travail habituel. Bien qu'il en ait prit l'habitude, ça ne l'empêcha pas de retrousser le nez et plisser les yeux, d'autant plus que sa matinée n'avait pas spécialement bien commencé.

Il lâcha un simple hochement de tête poli à deux de ses collègues qui étaient en train de nettoyer la salle, et il salua un habitué du bar qui était déjà attablé au comptoir, complètement ivre. Dès qu'il fut dos à lui, il ne put s'empêcher de froncer les sourcils, se disant que c'était vraiment triste d'être dans cet état là à dix heures du matin. Il partit dans l'arrière-boutique, et au moment où il mit un pied à l'intérieur, son nez fut attaqué par une odeur de Cologne.

Nom de dieu, jura-t-il, Teru ta bouteille de parfum a fuité ou quoi ?

Le dénommé Teru ne put empêcher un sourire de prendre place sur ses lèvres, et il fit volte face pour observer un de ses amis les plus proches. Quand il vit son expression ennuyée et son air de déterré, il ne put contenir une grimace.

Arrête un peu de te plaindre, de toute façon avec l'odeur d'alcool on le sent presque pas, se défendit-il en croisant les bras, Par contre toi, qu'est-ce qu'il t'est arrivé ?

— Rien de spécial, grommela le noiraud en enfilant son tablier.

Le blond haussa les sourcils, assez amusé, et passa son bras autour de ses épaules.

Rien que quand tu dis ça, je peux dire qu'il s'est passé quelque chose. Je te connais depuis le collège, Tobio. D'ailleurs, il s'est passé quoi avec ton poing ? demanda-t-il en pointant du doigt le bandage imbibé de rouge enroulé autour de sa main.

Écoute, j'ai rencontré quelqu'un de mourant aujourd'hui, il est venu vers moi et m'a demandé de l'emmener voir la mer alors que je ne l'ai jamais vu avant. Je ne sais pas pourquoi, mais je lui ai promis. Quand je suis rentré, ça m'a frustré et j'ai enfoncé mon poing contre le mur de ma douche.

Son ami resta silencieux quelques instants, analysant les informations qu'il venait de recevoir, avant de rouvrir la bouche.

Tu devrais aller le voir pendant ta pause.

Hah ??

— Apprends à le connaître.

— Je veux pas apprendre à connaître quelqu'un qui est destiné à mourir, ça ne sert à rien !

— Détrompe toi, ça peut être une personne à laquelle tu vas beaucoup tenir. Tente le coup, sinon tu pourrais le regretter, te torturer et quand il sera trop tard, te demander pourquoi tu ne m'as pas écouté.

Kageyama fit la moue et ressortit de la pièce pour commencer à travailler, écoutant d'une oreille plus distraite ce que Terushima avait à lui dire.

Terushima Yuuji. Il était bien un garçon au caractère explosif, lui, et on pouvait le déterminer rien que grâce à son apparence physique. Piercings à la langue, sur les oreilles, des tatouages recouvrant l'entièreté de son bras droit et qui s'étalaient sur son dos, même si pour cette partie, il fallait le connaître pour le savoir. Il était un jeune homme qui avait la joie de vivre, rien qu'être autour de lui donnait quand même envie de sourire malgré la fatigue qu'il procurait.

Contrairement à Kageyama, lui n'aimait pas la routine. Il n'aimait pas que tout se passe comme prévu, comme les choses avaient été planifiées. Il adorait les surprises, il raffolait de nouveauté, et il n'avait pas besoin, contrairement à d'autres, de forcer pour ne pas plonger dans la routine. Rien qu'à ses choix quotidiens, il savait parfaitement bien que chaque jour n'allait ressembler en aucun cas au précédent, et il adorait ça.

Il faisait des rencontres régulières, sortaient avec un nombre incalculable de filles et de garçons sans jamais se caser à proprement parler avec quelqu'un et ses amis entraient et sortaient dans sa vie comme s'il s'agissait d'un moulin. La seule chose qui était restée régulière dans sa vie, c'était Kageyama, et ça lui plaisait bien.

Malgré leur caractères opposés en tous points, leurs goûts complètement différents jusqu'à se disputer sur oui ou non il fallait laisser la pulpe dans le jus d'orange et leur façon de vivre, les deux s'entendaient parfaitement, et ça depuis leur rencontre en quatrième.

Ça avait peut être été épuisant par moments pour Kageyama, peut être un peu ennuyant quelques fois pour Terushima, mais jamais ils ne s'étaient vraiment quittés, et ils n'avaient pas l'intention de changer ça bientôt.

Comme quelqu'un l'avait si bien dit un jour “les opposés s'attirent„.

En tous cas, Tobio n'était pas très enthousiaste à l'idée d'aller le jour même où il l'avait rencontré, tenter de revoir ce rouquin si étrange. Certes, quelque chose l'intriguait en lui, et bien qu'il n'arrive pas à poser le doigt dessus, il ne pensait pas que c'était une raison suffisante pour revenir le voir comme s'il était désespéré.

Tu sais, si ça se trouve, il ne lui reste déjà plus longtemps, marmonna le blond en passant le chiffon sur le comptoir, l'air sombre.

Hein ?

Tobio s'arrêta dans ses mouvements pour l'observer, confus.

Tu n'as pas dit qu'il était mourant ? Qui te dit qu'il en a encore pour plus d'un mois ? Si tu lui as promis de l'emmener voir la mer, je pense que tu te devrais te bouger un peu avant qu'il soit incapable de sortir de son lit d'hôpital.

Rien qu'à cette pensée, le cœur du noiraud se serra et il grimaça au pincement qu'il avait ressenti. Il ne le connaissait pas. Il ne voulait pas s'immiscer dans sa vie. Il ne voulait pas souffrir.

Seulement, il comprit bien que c'était trop tard.

Il faisait dorénavant partie de la vie de ce malade quoi qu'il puisse en dire, et bien qu'il n'ait encore aucune idée de quel était son prénom, il souffrait déjà à l'idée qu'il puisse mourir.

Il s'accouda au bar, prenant sa tête dans le creux de ses mains et soupira franchement, assez embêté. Il s'était enfoncé tout seul dans ce problème, il allait devoir s'en occuper, aussi douloureux que ça puisse être. Il allait l'aider à aller voir la mer.

Tu pourras venir avec moi à l'hôpital ? Je ne me sens pas d'humeur à y aller tout seul, hésita-t-il sans relever la tête.

Yuuji sourit gentiment, lui tapotant le dos de manière compatissante.

Toujours là pour toi.

L'eau salée ondulant sur nos pieds [Kagehina]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant