10 | 'FORT DE COUSSINS'

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Il était vingt-trois heures quand Kageyama s'est introduit dans la chambre d'hôpital de Nishinoya et Hinata. Ce n'était pas sans difficultés, ni d'ailleurs sans angoisse de se faire attraper par un des travailleurs. Il n'avait rien à faire ici à cette heure-ci, il en était bien conscient, mais il n'avait pas su résister et n'avait pas trouvé la force de lui dire non quand Hinata lui a demandé une soirée pyjama. Il était bien entendu évident qu'il ne resterait pas toute la nuit, mais juste le temps qu'il fallait pour qu'il s'endorme et qu'il puisse repartir sans qu'Hinata ne se doute de quoi que ce soit.

Il avait un peu l'impression d'être un cambrioleur, à s'introduire comme ça dans des bâtiments sans autorisation, et ça n'allait pas être la seule fois qu'il ferait ça si un jour il devait faire sortir Hinata de ce trou à rat pour l'emmener à la mer. L'emmener de jour devant tous les regards n'était ni une option ni une possibilité.

Soupirant, il entra à proprement parler dans la chambre, ne sachant pas vraiment à quoi s'attendre. Refermant vite la porte derrière lui, ses yeux s'écarquillèrent en voyant un fort d'oreillers et de couvertures dans un coin de la pièce.

Nishinoya dormait déjà dans son lit, et puis, il n'était pas en état de se lever. Tobio plissa les yeux, ayant des doutes que Hinata ait eu la force de construire ça à lui tout seul.

Il entrouvrit le drap qui servait de porte, s'accroupissant devant la pile. Avant qu'il puisse entrer, le drap se referma devant lui.

Mot de passe ? murmura la voix amusée de Shōyō.

J'en ai aucune idée, grommela le noiraud, Comment je suis sensé savoir ? Orange ?

— Raté !

— Mais laisse moi entrer, tu ne me l'as pas dit le mot de passe !

— Essaye de deviner ! s'esclaffa le plus petit.

Espèce de gamin, jura le jeune homme sous son souffle, se massant les tempes, La mer ?

— Presque !

— Du sable ? Une plage ? Des vagues ?

Le drap finit par s'ouvrir pour le laisser entrapercevoir l'intérieur du fort. Hinata était assis en tailleurs, sur un tapis de coussins, une montagne de barres chocolatées à sa droite, une lampe torche à sa gauche.

C'était vagues le mot de passe ?

— Non, en fait c'était pas du tout en rapport, mais j'avais quand même envie de te laisser rentrer.

Kageyama esquissa un léger sourire, amusé, et s'assit en face du garçon, lui étant obligé de se plier un peu pour ne pas avoir sa tête cogner contre le haut du fort.

Alors, de quoi tu veux parler ? commença le rouquin, toujours avec des étoiles dans les yeux.

Du trajet pour aller à Sendai, à la mer.

Shōyō resta silencieux, étant encore plus attentif qu'il ne l'était déjà.

Il faudra partir de nuit, le train est vers cinq heures du matin, donc vers quatre heures on met les voiles. Comme ça on pourra y passer la journée.

— Quatre heures ? s'étrangla-t-il.

Je sais, c'est au beau milieu de la nuit, et tu n'auras pas forcément la force, mais je serais là, et c'est le seul moyen.

— C'est bon, ça me va, souffla-t-il, J'aimerais y aller au plus vite, avant que je ne devienne complètement aphone, aveugle et barjot.

Tobio sentit son cœur lui remonter jusque dans la gorge.

Tu deviens vraiment aveugle alors ? Je croyais que ce n'était pas un symptôme que tous les malades avaient.

— Mais tu le sais, non ? s'inquiéta Hinata, Plusieurs fois déjà, je me suis plaint que pendant une vingtaine de secondes je ne voyais plus rien. Comme ma raison d'ailleurs, des fois je sens que je contrôle plus et que je suis totalement à l'ouest. Ma voix, c'est différent. Je sens qu'elle me quitte de plus en plus vite, maintenant. Là, je me force vraiment, ça me fait vraiment mal.

Le jeune homme d'en face resta silencieux. Bien sûr qu'il le savait. Sa voix rauque et cassée, sa vue, son état mental. Il l'avait vu plusieurs fois, et à chaque fois, ça l'avait complètement terrifié. Vivre aux côtés de Shōyō était terrifiant dans ces moments-là. Il n'arrivait seulement pas à l'accepter. Il avait encore trop de mal à se dire que peut être, dans trois semaines, il ne serait plus capable de parler, de voir, de penser ou de bouger de son lit. C'était inconcevable. Il ne pouvait pas l'imaginer constamment le regard perdu, ne reconnaissant rien autour de lui, les lèvres bougeant, mais aucun son n'en sortant. Il ne voulait pas penser au moment où il ne le verrait plus jamais sourire, plus jamais rayonner. Il ne voulait pas non plus voir ses yeux ternes et dénués d'expression, remplaçant les étoiles d'émerveillement qu'il avait tout le temps dans les yeux dès l'arrivée du noiraud. Il ne pouvait pas voir son cadavre. C'était juste impossible à imaginer.

Avant même qu'il ne le remarque, la tête légèrement inclinée vers l'avant, les gouttes d'eau salées commencèrent à rouler sur ses joues dans le plus grand des silences coupé par la respiration sifflante du malade avant de s'écraser et de tâcher les coussins avant cela immaculés.

KageTobio ... souffla Shōyō, l'air apitoyé.

Il posa sa main sur la sienne.

Ça va aller, le rassura-t-il, Je finirais par être là. Toujours.

Peut être essayait-il de se rassurer tout seul, Hinata ne le savait pas lui-même, mais en tous cas, laisser ses mots échapper ses lèvres lui faisait du bien.

On aura une autre chance, hein ?

Kageyama hocha la tête silencieusement, essuyant du revers de sa main droite l'eau qui commençait à sécher sur ses joues.

Ouais, répondit-il, sa voix craquant à cause de la boule qui menaçait une nouvelle fois dans le fond de sa gorge, C'est ça, une autre chance.

Il ne le pensait pas. Peut être qu'Hinata croyait qu'après la mort, il y avait quelque chose, mais Kageyama, lui, était persuadé que la fin, c'était une fin, et c'était tout. Les suites, c'est que dans les films. Sa vie n'était pas un film, la vie n'était pas un film. Lui et Hinata n'auraient jamais de deuxième chance. Shōyō allait mourir, disparaître, pour ne jamais réapparaître.

Seulement, il ne pouvait pas le lui admettre. Il ne pouvait pas se forcer à lui avouer ça. Non, pour l'instant, ce que Tobio voulait, c'était passer le plus de temps possible avec lui, le voir sourire le plus longtemps, pouvoir lui donner l'amour qu'il méritait, l'aider à réaliser son rêve, et c'était tout.

Dis, si je reste dormir ici, tu penses qu'on va le remarquer ?

Shōyō cligna des yeux, d'abord assez étonné.

Oui, c'est sûr, finit-il par déclarer, Mais si tu veux, tu peux rester quand même ?

— Ouais, souffla-t-il, Ouais, ça me paraît une bonne idée.

Et le sourire sur le visage de Shōyō à ce moment là, il donnerait n'importe quoi pour le revoir encore et encore.

~J'ai l'impression que ça ressemble beaucoup trop à in another life sur certains points et ça me les brise parce-que je veux pas TwT
Enfin ignorez ça, je vais poster une fois toutes les semaines au final parce-que ben j'ai plus de chapitres d'avance
En plus la période des contrôles qui débarque c'est la merde et je suis vraiment pas dans le mood pour écrire cette histoire donc excuses d'avance mon retard~

L'eau salée ondulant sur nos pieds [Kagehina]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant