only fools fall for you

03 : je ne flirte avec personne

[29 août]

Mon grand frère s'appelle Alexandre, mais tout le monde l'appelle Alex depuis des lustres. Nous avons quatre ans d'écart, mais cela suffit pour qu'il soit responsable de moi depuis quelques années. Notre père travaille à l'étranger. Notre mère, elle, nous a laissés quand j'avais quatorze ans pour "s'amuser" un peu partout dans le monde et avec n'importe qui sans aucun scrupule. Aucun d'entre nous trois n'a de nouvelles d'elle depuis.

_ Tu flirtes déjà avec le nouveau voisin ? remarqua Alex. Il vient à peine d'arriver dans le quartier.
_ Je ne flirte avec personne. Et ça fait déjà trois semaines. 

J'ai déposé mon sac à dos au pied des escaliers pendant que mon frère éteignait sa console dans le salon.

_ Qu'est-ce qu'on mange ce soir, petite sœur ?
_ J'ai acheté des nouilles instantanées. Fais chauffer de l'eau, s'il-te-plaît.

Une fois à table, j'avais la tête dans les nuages. Les souvenirs de ma soirée me faisaient à nouveau rougir et légèrement sourire. J'avais eu la chance de réaliser une réelle conversation avec Evan, en plus d'apprendre que l'on se reverrait sans doute au lycée. Cette fois, ce n'était pas un rêve. Il m'avait regardée et avait l'air de m'apprécier. Avec un peu de chance, on finira dans la même classe.

_ T'es sûre que tu ne flirtes avec personne ? insistait-il, me sortant de mes pensées rêveuses. 
_ Certaine, ai-je détourné le regard.
_ Parce que j'ai vraiment l'impression que tu penses à quelqu'un.
_ Pas du tout.
_ Et quand je dis "quelqu'un", je veux parler du nouveau voisin.
_ Laisse-le tranquille, Alex. On se connait à peine.
_ Ça ne va pas tarder. Si d'ici décembre, tu sors en douce au milieu de la nuit, je saurai où tu vas.
_ Alex ! Ça n'arrivera pas, arrête avec ça.
_ D'accord, d'accord. C'est ce qu'on verra. On passe tous par là.
_ Justement, non. Toi oui ?
_ C'est pas ce que j'ai dit ...
_ Si, justement. C'était qui ? ... L'ancienne voisine d'en face, non ?
_ Comment tu peux savoir ça ?

Alex est si prévisible. Je le connais par cœur et je saurais déchiffrer la moindre de ses phrases. 

_ J'étais pas sûre mais tu m'as retiré le doute. Alex, elle avait vingt-six ans, tu en avais dix-neuf.
_

Elle ne les faisait pas, crois-moi. Et elle était aussi triste que moi quand elle a dû déménager.
_ Si tu le dis.
_ Ça va être difficile de retrouver quelqu'un qui le faisait aussi bien ...
_ S'il-te-plaît, l'ai-je coupé, je ne veux rien savoir de tout ça. Changeons de sujet : quand est-ce que tu reprends le travail ?
_ Le même jour que ta rentrée au lycée.
_ Okay.
_ Papa a passé un coup de fil quand tu es partie. Faut que tu le rappelles après manger.

Notre père nous appelle environ toutes les deux semaines, mais cela ne changerait pas grand chose s'il ne le faisait pas. Nous avons appris à vivre sans lui très tôt. Quand il rentre à la maison, ce n'est généralement que pour quelques jours tout au plus. Avec ceci, il passe ses journées dans son bureau sans regarder l'heure. Je pourrais être reconnaissante envers lui s'il travaillait autant pour nous, mais ce n'est pas le cas. Il y a quelques années, quand ma mère est partie, il nous a fait comprendre que nous devrions nous débrouiller seuls pour payer le loyer et les factures et nous occuper des courses. 

C'est là que mon frère a commencé à travailler. Par chance, il avait tout juste dix-huit ans et n'envisageait pas vraiment de continuer ses études après le bac. Je n'avais que quatorze ans à l'époque. Mais dès que j'en ai eu dix-sept l'année dernière, j'ai été recrutée en tant que caissière à la supérette du coin. J'y suis allée presque tous les soirs après le lycée et pendant les vacances. Ça n'a pas toujours été facile, mais nous n'avions plus tant de problèmes pour finir la fin du mois. De toutes façons, nous ne pouvions plus compter sur nos parents, ces ingrats. Je m'étais habituée à tout cela, et mes parents ne me manquaient pas plus que cela. Nous savions tous les deux nous débrouiller seuls, ou du moins ensembles, et nous n'avions pas vraiment le choix.