15 : vexée d'être vaincue

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[04 octobre]

Je ne me souviens plus des arguments que j'avais avancés à mon cerveau pour qu'il accepte le dilemme précédent, mais Liam se trouvait au même moment au beau milieu de mon salon, à tourner sur lui-même pour admirer la pièce. 

_ C'est cool chez toi ! J'aime bien !
_ Pourvu que tu t'en ailles rapidement. On va aller droit au but : qu'est-ce que tu as besoin de réviser ?
_ Je ne suis pas trop à l'aise avec les ... primitives.
_ Tu te fiches de moi ? C'est la base de toute la leçon ! Je ne vais pas pouvoir t'aider sur le chapitre entier.
_ Les primitives, ce sera suffisant.
_ D'accord. On va monter dans ma chambre, tous mes cours y sont. Tu peux poser ta veste sur le porte-manteau.

L'idée ne m'enchantait vraiment pas, mais je ne pouvais plus reculer après avoir pris la décision de le laisser entrer chez moi. Liam s'exécuta et me suivit dans les escaliers sans plus un mot. Et, erreur de ma part, je ne pensais plus du tout à mon frère qui avait entrouvert la porte de sa chambre, donnant sur le palier. Il m'interpella depuis cette pièce :

_ Alors comme ça, on invite des garçons sans me prévenir ? 

Je soupirai bruyamment en me rappelant de ce détail pénible. J'aurais largement préféré être seule chez moi, finalement. Il sortit sur le palier avec un sourire malicieux.

_ Et je rêve ou vous vous dirigez vers la chambre d'Angeline ? Vous n'êtes pas très discrets. 

À présent, plus aucune excuse n'était valable pour justifier la venue de Liam à l'étage sans que cela ne paraisse suspect. J'étais prise au piège. L'imbécile concerné pouffait dans son coin derrière moi, avant de se tourner vers mon odieux frère et le saluer :

_ Salut ! 

Alex le regarda en deux fois et avait l'air légèrement surpris.

_ Salut, mais ... Tu n'es pas le voisin d'en face. 
_ Non, en effet. Je devrais ?
_ Tu as déjà changé d'avis, Angeline ? 
_ Je t'assure que j'aurais préféré que ce Liam n'entre jamais chez nous, assurais-je à mon frère.

Celui-ci se mit à rire et repartit dans sa chambre sans un commentaire de plus. Nous entrâmes dans la mienne, à contrecœur me concernant. Ce culotté s'assit directement sur le bord de mon lit comme s'il s'agissait du sien. 

_ C'est chouette ici ! Je devrais venir plus souvent. 
_ Même pas en rêve. 
_ On est sur de la répartie d'enfer, digne d'une cour de récré !

Il décrocha mon premier sourire de la soirée depuis son arrivée. Et il en avait l'air plutôt fier car la malice était réapparue sur son visage. J'ai fait volte-face vers mon bureau, vexée d'être vaincue, pour y prendre mes classeurs. Il fallait absolument que le rouge sur mes joues disparaisse au plus vite, et j'ignorais même pourquoi il se trouvait là. J'ai installé les cours sur les draps et me suis installée de l'autre côté du lit en tentant de me changer les idées.

_ Bon. Pour commencer, est-ce que tu connais tes primitives par cœur ?
_ Plus ou moins, oui ...
_ Tu devrais. Tu as essayé de te faire une fiche de révision ?
_ J'aurais dû ?
_ Je pense que tu en auras besoin. On va prendre la mienne, pour commencer.

Et pendant que je tentais de lui expliquer une leçon que je comprenais à peine, je le sentais étonnement attentif et à l'écoute. Je m'attendais plutôt à ce qu'il ne retienne qu'un quart et qu'il n'ait pas vraiment compris à la fin, mais je pense que je me trompais. Moi qui voyais en lui un garçon très peu scolaire et sans aucune motivation pour les études, je fus surprise à chaque question qu'il me posait, avide de plus d'informations. Si j'avais été un peu plus prétentieuse, j'aurais pu penser que ma présence lui donnait des ailes. Or je ne pouvais même pas être sûre de ce qu'il ressentait envers moi.

Au bout d'une petite demi-heure, son téléphone dans sa poche arrière vibra. Il attendit poliment que je termine ma phrase pour le sortir et l'allumer. Un sourire discret s'afficha sur son visage, et mon attention se porta alors sur son écran, grande curieuse que j'étais. Mais mon prénom dans un des messages attira mon attention. Je me suis instinctivement approchée de lui, intriguée :

_ Vous parlez de moi ? C'est qui ?

Liam rangea immédiatement son téléphone en détournant le regard, comme il l'avait fait dans la cantine lorsqu'il manquait de répartie, gêné.

_ Non, pas du tout. Ça ne devait pas être toi.
_ Montre-moi, alors.
_ Non.
_ Menteur. Si tu disais la vérité, tu me regarderais, au moins, lui souriais-je en ayant découvert son jeu.

Liam posa enfin ses yeux dans les miens, sans un mot de plus. Je savais bien qu'il me mentait mais je ne m'attendais pas à le voir en le connaissant si peu. Je le reconnaissais à peine, ce soir-là. Et tout cela paraissait éperdument cliché, mais mon regard était aimanté au sien et ne pouvait plus s'en détacher, une fois de plus.

Liam est un beau garçon, on ne peut pas le nier. Un sale gosse, mais un beau garçon. Il a beaucoup de charme et se fait remarquer auprès des autres, au lycée. Mais c'est surtout une tête à claque et un coureur de jupons, comme l'aurait dit une grand-mère quelconque. Et je détestais cette partie de lui. Je savais également que, une fois de retour au lycée, rien ne serait similaire à ce soir. J'ai lu assez de romans pour adolescents pour le savoir. C'est pourquoi je n'aurais pas été déçue lundi. 

Pourquoi être déçue, d'ailleurs ? Tout simplement parce que je me surprenais à apprécier ce moment de profondeur et de transparence. Je n'étais qu'Angeline, il n'était que Liam, et c'était tout ce que je voyais. 

Tout en continuant de le regarder et comme pour changer de sujet, il annonça brusquement :

_ La primitive de x au carré, c'est trois x au cube sur trois.

Il m'aura fait exploser de rire, comme je ne l'avais pas fait depuis longtemps. Ce fut une transition bien inattendue mais qui me donnait mal au ventre. Il semblait plutôt satisfait de ceci, et le fait d'être vaincue une seconde fois me vexait deux fois plus.

only fools fall for youOù les histoires vivent. Découvrez maintenant