40 : des fées malicieuses

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[20 décembre]

Il devait être seize heures ce samedi après-midi dans ma rue froide mais rieuse. Evan et moi faisions une pause, assis sur le bord d'un trottoir à quelques maisons de chez nous, à siroter une briquette de jus d'orange que j'avais piquée à la maison. Il avait, quant à lui, ramené des cookies industriels qui nous recouvraient de miettes de gâteau à chaque bouchée. Je retournais en enfance en à peine quelques secondes ; j'avais déjà fait tout cela une dizaine d'années plus tôt avec mes amis (mais pas avec un skateboard). 

Je pouvais assurément dire que je m'étais améliorée par rapport à la veille. J'arrivais à présent à garder l'équilibre sur ma planche qui ne tentait plus tant que cela me fuir. Je parvenais également à m'arrêter sans manquer de tomber, et je savais prendre de la vitesse sans trop paniquer. Tous ces progrès m'enchantaient. 

_ Tu penses que tu vas avoir quoi pour Noël ? a-t-il commencé.
_ Je sais pas trop. Je pense que mon frère va m'acheter un vêtement ou quelque chose comme ça. Mais je ne sais vraiment pas ce que je vais recevoir par mes amis. Et toi ?
J'ai demandé de l'argent à ma famille. Je ne sais pas encore de quoi j'ai envie, mais ça viendra dans l'année. 
_ D'accord ! C'est plutôt une bonne idée, et ça te permet d'économiser.
Exactement. Mais j'ai hâte de tous les revoir, surtout mes cousins. On fête ça chez ma tante cette année ! Et toi ?
_ On est invités dans la famille de Sophia tous les ans, Alex et moi, avouais-je. 
D'accord ! Et tu ne vois pas ta famille ?
Pas vraiment, non. Que ce soit pour Noël ou pour le reste de l'année. En fait, je n'en ai pas vraiment. 
Mince ! Je suis désolé, je voulais pas être indiscret. Je fais souvent ce genre de bêtises.
_ Non, il n'y a aucun souci ! Ne t'inquiète pas. Tu peux me poser toutes les questions que tu veux. 
_ Tu es sûre que ça ne te gêne pas ?
Promis, lui assurais-je.
_ Okay, c'est gentil. Tu as perdu tes parents ? 
_ Mon père nous appelle une fois de temps en temps, et passe nous voir tous les deux mois environ. Ça fait plusieurs années que ça dure. Et ma mère a disparu en quelques sortes quand j'étais au collège. Elle a quitté la maison avec un grand sourire et fait le tour du monde sans nous donner de nouvelles. J'ai grandi sans elle, finalement. 
_ Je vois. C'est pas très cool, tout ça. Ils ne te manquent pas trop ?
_ Pas vraiment. Mon père n'a jamais été réellement là pour nous. Et on a appris à nous débrouiller sans eux. J'ai eu la chance d'avoir Alex depuis le départ. Et honnêtement, on s'en sort très bien !
_ Je suis content pour vous, alors. 

Le silence a remplacé notre conversation pendant quelques secondes. Je continuais à m'empiffrer de cookies nonchalamment alors que je réfléchissais à ma situation. Il semblait faire de même, perdu dans ses pensées en fixant le bout de ses chaussures. Son visage sérieux m'empêchait de regarder autre part. Il a soudainement tourné la tête vers moi comme s'il venait de chasser toutes ces réflexions d'un coup d'œil. 

_ On s'y remet ? proposa-t-il. Il nous reste un peu de temps avant qu'il fasse nuit. On peut apprendre à tourner, ça te dit ?
Avec plaisir ! Montre-moi comment tu fais. 

Il fit rouler sa planche et la rejoignit d'un saut gracieux et méthodique. Ses mèches brunes virevoltaient au rythme de ses mouvements et de la vitesse qu'il prenait. Il en posa une derrière son oreille et commença à réciter sa nouvelle leçon sous mes yeux. Je ne l'écoutais pas réellement, perdue dans mon admiration que je croyais discrète. 

Une fois rentrés chez nous moins de deux heures plus tard, Alex semblait m'attendre dans la cuisine au bout du couloir d'entrée. Je m'y suis avancée sous prétexte de me servir un verre d'eau, mais je sentais qu'il avait quelque chose à dire par sa façon de me regarder avec un peu trop d'insistance. 

_ Tu me dois un secret, toi aussi, commençait-il.
Absolument pas. On est quitte, je te rappelle, ai-je lancé sans le regarder. 
Non. J'ai fait la vaisselle et j'ai payé tes courses d'anniversaire pour que tu gardes mon secret parce que j'en avais besoin. Mais tu dois m'en dire un en échange, tu te souviens pas de cette règle ?
Je m'en souviens.

J'ai toujours détesté ce règlement stupide que nous avions instauré alors que nous n'étions que des enfants. Et nous avons fait la promesse de le respecter tant que nous serions toujours frère et sœur. Mais j'ai aussitôt regretté une fois que j'eus signé ce pacte, car je me suis vite rendue compte que toutes ces règles ne jouaient absolument pas en ma faveur, mais en celle de mon frère. Ce jour-ci encore, il savait comment m'attaquer par derrière pour obtenir ce qu'il veut. 

On était des enfants, Alex, soupirais-je en me tournant vers lui. Ce règlement n'a aucun sens et tu le sais. 
_ Si, il en a un. Tu as signé un contrat à perpétuité, maintenant il faut l'assumer. Tu avais eu le choix. 
Tu prends tout ça bien trop au sérieux. C'est ridicule. 
_ Tu dis ça parce que t'as pas envie de me dire de secret. 
En partie. Mais je le pense quand même. 
_ Dans ce cas, je vais devoir deviner ! répliqua-t-il en s'étalant sur le dossier de sa chaise.
_ C'est pas dans le règlement, ça. 
_ Non. Mais si toi, tu ne le respectes pas, alors moi non plus. 
_ Laisse-moi tranquille. 

Je pris la direction des escaliers qui me mèneraient à ma chambre, mais Alex se leva pour m'attraper le bras.

Attends ! Je voulais savoir ce qu'il se passe entre le voisin et —
_ Tu veux savoir un secret ? Okay alors, l'ai-je coupé en m'énervant. Liam est amoureux de moi depuis l'été et je l'ai repoussé il y a trois jours. Ça te va ? Maintenant, lâche-moi. 

Je me suis détachée de son emprise d'un geste agacé, et je suis montée dans ma chambre rouge de colère. Je l'ai entendu marmonner que ce n'était pas le secret qu'il aurait aimé entendre, mais que cela fonctionnait quand même. Après cela, je suis restée enfermée, bien décidée à ne pas le revoir avant le lendemain matin. Les regrets se sont emparés de moi comme des fées malicieuses qui m'enchaîneraient en riant de moi. Sur mon téléphone, aucune notification ne concernait Liam, même si j'ignorais pourquoi je m'y attardais tant. Peut-être aurais-je dû le faire moi-même, mais pour lui dire quoi ? J'ai abandonné l'idée et ai fini par m'endormir de fatigue au beau milieu de mon lit. 

only fools fall for youOù les histoires vivent. Découvrez maintenant