Alana ruminait contre Irwan en terminant de ranger ses affaires, un sourire contrarié affiché sur son visage. La présence de Lavande dans la chambre, qu'elles partageaient, n'améliorait pas son humeur, mais réinstallation oblige, elle n'avait pas d'autre choix que de la supporter, au moins le temps de vider ses bagages.
Heureusement, Lavande était silencieuse pour le moment, semblant penser et réfléchir à quelque chose, mais, au cas où elle aurait décidé de l'ouvrir, Alana avait ses écouteurs vissés dans les oreilles. Actuellement, elle ne croyait pas être capable de demeurer calme si Lavande ouvrait la bouche pour émettre l'un de ses habituels commentaires de garce sans pitié.
Certes, elle n'avait pas pour coutume de rester stoïque face aux mots cruels de Lavande mais, aujourd'hui, entre ses pensées sur la nouvelle loi– le débat avec ses camarades avait quelque peu ébranlé sa détermination à prendre ce changement uniquement sous l'angle positif en écartant tous les questionnements et les étrangetés qu'il transportait – et son profond agacement causé par le comportement d'Irwan, elle se sentait capable d'exploser au premier mot qui lui déplairait.
Elle avait pourtant caressé l'espoir que Lavande ne reviendrait pas à cette réouverture.
Non pas qu'elle pensait qu'elle ferait partie des quelques pensionnaires qui n'étaient pas revenus à l'institut, que ce soit par crainte du meurtrier en liberté ou des tensions qui se cristallisaient en silence, mais car elle avait entendu dire, comme d'autres de ses camarades, que, durant le temps qu'avait duré la fermeture, Lavande avait disparu.
Elle n'était pas retournée auprès de sa mère et n'avait laissé aucune trace derrière elle, ce qui ressemblait à une fugue.
D'après ce qu'on racontait, la police avait même été avertie pour mener des recherches mais, comme il s'agissait d'une personne majeure qui refusait de revenir auprès de sa mère avec qui elle était en conflit, les efforts déployés pour la retrouver n'avaient guère été important et on avait simplement abandonné après quelques jours sans rien découvrir. Rien ne pouvait indiquer l'endroit où elle s'était réfugié durant ces quatre semaines et demie.
La jeune fille était simplement réapparue aujourd'hui à la réouverture, comme tous les autres élèves et comme si de rien n'était, en reprenant sa place.
En tous cas, c'était ce que la rumeur qui circulait dans les couloirs de l'institut depuis ce matin, lancée lorsque Monsieur Moreau lui avait demandé où elle avait passé ces plusieurs jours – il n'avait pas obtenu de réponse – racontait mais Alana ne pouvait fonder aucune réelle certitude dessus et elle préférait donc prendre ces informations avec prudence.
Habituellement, elle était plutôt du genre à foncer tête baissée et à avoir un avis bien tranché mais seulement lorsque les faits qu'elle possédait pour se forger cet avis étaient plus solides qu'une simple rumeur de lycéen. Elle ne fondait pas sa position uniquement sur des préjugés ou des on-dit.
Pour en avoir le cœur net à propos de Lavande, elle aurait pu demander à Irwan. Avec sa passion d'épier les conversations qui ne le concernaient pas, ce dernier devait forcément posséder des renseignements précis et tangibles à ce sujet mais Alana refusait d'aller l'interroger ou de s'adresser à lui, pour satisfaire sa curiosité ou pour autre chose.
Elle lui en voulait trop et n'avait aucune envie de converser avec lui, quelle qu'en soit la raison, surtout qu'il allait certainement en profiter pour lui demander ce qu'elle lui reprochait, ce qui n'allait que l'énerver davantage. Il osait se poser la question, il était vraiment le pire des idiots !
Le bruit de feuilles froissées la fit s'apercevoir qu'elle avait inconsciemment serré les poings sur son cahier qu'elle s'apprêtait à ranger. Grommelant tout bas contre Irwan, elle jeta le pauvre cahier sur son bureau.
Peut-être que, malgré son refus obstiné, il allait falloir qu'une discussion avec Irwan s'impose car cette grande irritation semblait prête à se transformer en fureur et à la changer en personne violente.
Heureusement, peut-être que ce qu'ils avaient prévu avec Léo lui servirait d'exutoire et la soulagerait au moins un peu.
En songeant à cela, le jeune homme n'aurait plus dû tarder à présent.
L'ouverture dont ils pouvaient et comptaient profiter était délimitée alors perdre la moindre seconde en s'attardant risquait de jouer contre eux.
Un regard à l'écran de son téléphone pour vérifier l'heure confirma à Alana qu'il n'allait pas falloir qu'ils trainent. D'ailleurs, elle laissait encore cinq minutes à Léo puis elle allait le chercher.
Elle n'eut pas à attendre car on frappa à la porte. Lison se chargea d'aller ouvrir et se jeta au cou de Léo pour l'embrasser et le jeune homme l'enlaça à son tour.
Personne n'aurait imaginé que le deuxième casse-cou de la classe, le premier étant Alana ce qui expliquait pourquoi ils formaient un duo parfait pour cette opération, à la tendance à l'hyperactivité puisse être si tendre.
Comme quoi, l'amour faisait des miracles mais pas toujours, songea Alana et une nouvelle vague d'agacement lui fit serrer les poings.
Navrée de devoir les interrompre mais consciente qu'ils risquaient de perdre du temps et ne supportant guère d'assister aux étreintes d'amoureux transis en ce moment, déjà qu'elle avait subi Nolwenn et Adriel en arrivant ce matin, Alana se racla discrètement la gorge pour rappeler à Léo qu'ils avaient à faire.
Le jeune homme hocha la tête avec une moue d'excuse et repoussa doucement Lison. Un sourire désolé se traça sur les lèvres d'Alana.
Dans leur équation, ils n'avaient pas pensé que Lison serait plus que probablement présente et qu'il faudrait donc que Léo lui avoue qu'il n'était venu la voir mais qu'il devait faire quelque chose avec Alana. Ce n'était certainement pas évident d'expliquer ce genre de choses à sa moitié, surtout sans rien préciser ni détailler, puisqu'ils devaient garder le secret à ce sujet.
Alana se sentit vraiment idiote de ne pas l'avoir envisagé. C'était son côté "j'y vais et j'y réfléchirai plus tard quand j'aurai le temps" mais il fallait reconnaître qu'ils avaient organisé ce plan dans l'urgence, inquiétés par le message reçu, et n'avaient donc eu guère le temps de prévoir ce genre de détails. Sans compter que ni l'un ni l'autre n'excellait dans la réflexion ou pour la conception de projets parfaitement conçus et réglés.
Le style de Léo se rapprochait davantage de celui du fonceur que du stratège, comme Alana, ce qui ne les associait pas à des idiots pour autant.
A présent, ils se retrouvaient cependant confrontés à une situation délicate et ils ne disposaient pas de beaucoup de temps pour l'étudier et la régler au mieux. De toute manière, même avec des heures pour réfléchir, il n'y avait pas grand chose d'autre à faire que d'expliquer à Lison que ce n'était pas pour elle mais pour Alana que Léo s'était présenté à leur chambre.
Comprenant que ce n'était pas simple pour le jeune homme, Alana s'apprêta à se charger de cette annonce à Lison, le soulageant, mais, le voyant, le jeune homme secoua la tête de gauche à droite pour refuser la proposition implicite de son amie. C'était à lui de le dire à Lison. Cela n'étonna pas Alana. Au contraire, elle reconnaissait bien là Léo, honnête, que ce soit en amour, en amitié ou envers lui-même.
Il détacha donc délicatement Lison de lui et lui expliqua, non sans une gêne manifestée d'une main dans ses dread locks décolorées, qu'il avait quelque chose à faire avec Alana. Pour le grand soulagement du duo, la blondinette acquiesça avec un sourire et répondit à Léo qu'ils se verraient plus tard et que, de toute manière, elle n'avait pas encore terminé de ranger ses affaires.
Alana leva les yeux au ciel avec un sourire désespéré, se traitant mentalement d'idiote pour avoir cru qu'il serait difficile d'expliquer à Lison qu'ils devaient partir tous les deux sans pouvoir lui fournir de détail à ce sujet.
Évidemment que la jeune fille ne leur reprocherait rien ni, ayant toute confiance en ses amis, et ne les soupçonnerait de commettre une infidélité amoureuse. Lison n'était pas du genre maladivement jalouse ou possessive et n'avait aucune raison de l'être de toute manière.
Si Lison ne pensait pas une seconde à une quelconque tromperie, ce n'était cependant pas le cas de Lavande, dont la perfidie trouva une faille où se glisser. Elle ouvrit la bouche pour lancer à Lison qu'elle était stupidement naïve de sourire ainsi tout en continuant à défaire ses bagages pendant que son petit ami allait s'envoyer en l'air avec sa cochambre. Anticipant ces mots, Alana se tourna vivement vers elle avec un regard meurtrier, la prévenant que, si elle osait formuler ce commentaire, elle la ferait passer par la fenêtre.Sachant qu'elle en était possiblement capable, surtout alors qu'elle était à fleur de peau, Lavande préféra se taire et se faire oublier en restant dans un coin.
Promettant à Lison de repasser dans l'après-midi, Léo suivit Alana dans le couloir.
Une fois la porte de la chambre refermée dans leur dos, la jeune fille vérifia l'heure une nouvelle fois et soupira, soulagée qu'ils soient dans les temps, puis elle s'assura du contenu du sac à dos qu'elle portait sur l'une de ses épaules. Elle ignorait si c'était la peine d'emporter tout ça mais elle préférait prévoir un minimum, au cas où.
Léo, lui, n'avait rien préparé de plus que sa présence. Il y allait les mains dans les poches, visiblement parfaitement confiant et assuré de leur réussite, malgré le peu de préparation dont ils avaient pu bénéficier.
Évitant un maximum de croiser du monde, ne souhaitant pas avoir à s'expliquer sur l'endroit où ils se rendaient, tous deux quittèrent l'enceinte de l'institut, qu'ils avaient retrouvé il y avait seulement quelques heures.
Sur le trottoir devant le portail se trouvaient encore quelques pensionnaires qui regagnaient l'établissement mais surtout des journalistes qui nourrissaient leurs reportages tant qu'ils le pouvaient.
Après avoir échangé un regard, Alana et Léo accélèrent le pas d'un commun accord, s'enfuyant de l'endroit avant que quelqu'un n'ait l'idée de les interroger sur ces nouvelles mesures qui les rendaient supérieurs au reste de la population.
Remontant la rue sur plusieurs mètres, ils prirent le bus à l'arrêt. Dans le véhicule, personne ne leur lança de regard hostile, pesant ou simplement anxieux pour la bonne raison que tous les autres passagers détournèrent vivement les yeux en avisant la couleur des leurs.
Visiblement, tout le monde prenait l'interdiction de manquer de respect à un magicien très au sérieux, d'autant plus après les interpellations en masse d'il y avait quelques jours suite aux manifestations opposées à ces changements, et personne n'avait envie d'être arrêté pour un regard mal interprété par un sorcier.
Les deux jeunes gens ne se sentirent cependant pas moins mal-à-l'aise que lorsqu'on les dévisageait avec crainte ou haine. Au moins, lorsque c'était ainsi, ils savaient que penser et à quoi s'en tenir alors que, à présent, ils avaient l'impression d'être encore davantage marginalisés. Il y avait comme une lourde tension qui pesait dans le véhicule.
Dans ces conditions, le trajet leur parut bien plus long qu'il ne le fut réellement et ils ressortirent avec soulagement après avoir traversé presque toute la ville.
Ils se trouvaient assez loin du centre dans un quartier résidentiel aux maisons très espacées qui laissaient place à de grand jardins et quelques parcs.
Suivant l'itinéraire qu'ils avaient enregistré sur leur téléphone, ils arpentèrent une rue en pente douce où, en haut, là où elle croisait une autre rue, se trouvait ce qui les intéressait : le centre de désintoxication de Saint-Théophile des Mines.
Léo et Alana ignoraient qu'il y en avait un dans la ville avant que Roxanne n'y soit envoyée, contre sa volonté, on pouvait le dire.
Il ne ressemblait pas à un hôpital, comme on pouvait imaginer ce genre d'établissements.
Il s'agissait d'un bâtiment en L qui s'élevait sur deux étages et une partie du dernier formait une grande terrasse avec des bancs et même des chevalets pour s'essayer au dessin. Les murs, percés de larges fenêtres, étaient peints avec un crépis jaune clair. Un jardin, qui semblait agréable et dans lequel on apercevait un panier de basket, était séparé du reste de la rue par une haute haie de sapins.
Ça paraissait être un endroit paisible et tranquille, parfait pour remonter la pente et se défaire de ses démons.
Cette réflexion qui s'insinuait innocemment dans l'esprit d'Alana alors qu'elle observait les lieux, la fit hésiter sur la justesse de leur intention.
Avaient-ils raison de faire cela ? Était-ce vraiment le mieux à faire ?
Les mêmes questions qui l'avaient harcelé lorsqu'ils avaient reçu le message revenaient tourner dans ses pensées.
La jeune fille les chassa cependant par les mêmes arguments que précédemment puis, suivant Léo, elle se glissa entre les branchages de la haie à un endroit où elles formaient une éclaircie.
Heureusement qu'elle était sportive et que l'exercice physique l'avait rendue souple car quelqu'un de sa carrure de moins entraînée serait certainement resté coincé. D'ailleurs, elle réussit bien mieux que Léo et, le dépassant, elle s'extirpa de la haie avant lui et l'aida en se retenant de rire. Se faire repérer car elle se moquait de la piètre performance du jeune homme aurait été vraiment stupide.
À la place, elle se chargea de faire le guet pendant que Léo vérifiait les informations qu'il avait consigné sur son portable puis il indiqua la cachette que leur camarade leur avait désignée.
Rampant presque au pied du bâtiment pour ne pas se faire repérer depuis une fenêtre, ils contournèrent le centre pour se rendre à l'arrière, la partie la plus délaissée du jardin. L'herbe y était plus haute, tondue moins régulièrement, et aucune installation ne s'y trouvait. En revanche, plusieurs buissons et broussailles y poussaient librement.
Choisissant le plus fournis mais aussi le moins épineux, ils s'y dissimulèrent, non sans quelques jurons, et attendirent.
L'heure qu'affichait l'écran de leurs téléphones respectifs annonçait qu'ils étaient parfaitement dans les temps. Alana hocha la tête et ils se concentrèrent sur la fenêtre du deuxième étage qu'ils avaient face à eux, et plus particulièrement sur le détecteur de chaleur fixé au plafond et relié au système anti-incendie.
Après plusieurs secondes, s'impatientant, Alana demanda à Léo pourquoi il ne faisait rien. Le jeune homme souffla d'agacement par les narines et lui expliqua à voix basse que c'était plus compliqué lorsqu'il projetait son pouvoir loin de lui au lieu d'invoquer les flammes directement entre ses mains ou juste à côté de lui et que, comme il ne voulait pas manquer son coup, il préférait prendre son temps.
Reconnaissant la justesse de son argument, la jeune fille se tut et le laissa donc se concentrer, bien que rester ainsi sans bouger à patienter lui était difficilement supportable.
Au bout de quelques minutes, une boule de feu lévitant au-dessus du sol apparut dans le couloir qu'ils voyaient par la fenêtre, juste à côté du détecteur de chaleur qui s'enclencha et activa l'alarme.
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Les Yeux du Pouvoir - Tome 3 : Pensées Indigo [Terminé]
ParanormalAvec la fermeture de l'institut Belforde, l'avenir semble de plus en plus incertain pour les magiciens. La situation va pourtant soudainement évoluer d'une manière que personne n'avait prévue. Mais s'agit-il réellement d'un juste retour des choses...