Chapitre 10 - Ce qui se cache dans les sous-sols [1/2]

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L'atmosphère dans le groupe de la classe des plus âgés au sortir de l'hôpital était étrange, du genre pesante et morose.
Ça ne ressemblait absolument pas au sentiment qu'ils avaient eu la première fois en allant visiter Salim après son opération au genou. Là, ils avaient été éprouvés et inquiétés à cause de l'attentat qui venait d'avoir lieu mais aussi reconnaissants envers Salim. Aujourd'hui, ils ressentaient un malaise difficilement descriptible. Ça les empêchait de parler et leur faisait fuir le regard des autres.
Plusieurs causes pouvaient expliquer ce sentiment pesant et fortement désagréable.
Pour commencer, il y avait la question de comment se comporter face à une personne qui avait échappé de peu à la mort par suicide et de ce qu'il fallait ou non lui dire. Sans compter qu'il s'agissait de Salim, ce qui ne facilitait pas les choses, au contraire.
Ensuite, lié à cette première raison, il y avait le fait d'apprendre, de la pire manière qui soit, que l'un de leurs camarades, quelqu'un qu'ils fréquentaient chaque jour dans presque tous les aspects de leur quotidien, souffrait d'une telle détresse qu'il avait voulu mettre fin à son existence et qu'ils n'en avaient rien su avant qu'il ne passe à l'acte, qu'ils avaient été incapables de le deviner, de le voir et que, même à présent qu'ils le savaient, ils ignoraient ce qui provoquait cette douleur et encore moins comment y remédier ou l'aider.
C'était une culpabilité amère et piquante, très difficile à vivre et qu'ils auraient vraiment souhaité ne jamais expérimenter, surtout dans ces circonstances.
Pour terminer, ils ne pouvaient s'empêcher d'avoir l'impression, quelque peu irrationnelle, que cette tentative de suicide de Salim présageait des instants sombres, annonçait une dégradation de la situation actuelle qui leur donnerait souvent l'occasion de ressentir ce genre d'humeurs sombres.
C'était comme si c'était la première étape d'événements dramatiques dont elle les avertissait, mais ça n'avait pas le moindre sens. Cette tentative était la manifestation du désespoir de Salim, désespoir que personne n'avait su voir. Il n'y avait aucune raison d'y chercher un quelconque sens métaphysique ou l'annonce d'un hypothétique futur ténébreux.
C'était stupide mais ils ne pouvaient faire autrement que de le concevoir ainsi.
À rajouter à cela, il y avait également la fatigue et une profonde lassitude en ce qui concernait Eléa, toujours appuyée contre Gabriel.
Elle ne trouvait pas que la perfusion qu'on lui avait administré ait eu beaucoup d'effet et, pour le moment, elle se demandait si elle allait réussir à regagner l'institut dans cet état. Sa seule envie était de se coucher et de dormir, certainement pas de se rendre en cours.
De toute manière, on lui avait conseillé de se reposer alors elle pouvait se permettre de ne pas se présenter en classe pour le reste de la journée.
D'ailleurs, il était possible que les cours soient annulés pour tous les membres de la classe après cet événement. Ils verraient bien une fois de retour.
Pour l'instant, ils s'installèrent sur les bancs autour de l'hôpital, bien qu'Eléa s'y laissa choir plus qu'elle ne s'y assit, attendant Raphaël qui s'était attardé auprès de Salim dans sa chambre.
Chacun espérait que le garçon ne trainerait pas trop. La seule envie qu'ils avaient étaient de quitter cet endroit pour s'efforcer de penser à autre chose, ce qui ne serait pas des plus simples pour autant. Il faudrait du temps pour oublier cet événement, pour qu'il cesse d'être au premier plan de leurs pensées.
Tout semblait devenir si inquiétant.
La joie de la réouverture et de pouvoir conserver leurs droits au-delà de toute espérance n'avait pas duré longtemps avant de s'effacer pour céder la place à des préoccupations et à l'angoisse.
C'était comme si la peur du meurtrier de l'institut revenait peser sur eux à les écraser, mais différente car, avec le pressentiment que les tensions cristallisées en silence allaient exploser d'ici quelques temps, le danger risquait de les menacer de tous côtés, quel que soit le lieu où ils se trouveraient.
Heureusement, car elle ne pensait pas être en mesure de supporter ce genre de pensées sombres dans son état actuel, Eléa n'eut guère l'occasion de s'y abîmer car elle était bien trop exténuée pour les mener.
La joue écrasée contre l'épaule de Gabriel, qui la couvait de son superbe regard violet avec un bras protecteur autour de ses épaules, inquiet de sa faiblesse, elle commença à somnoler sans même s'en apercevoir, la tête lourde, complètement vidée de son énergie et de ses forces.
Juste avant de réellement s'abandonner dans les bras de Morphée, évitant ainsi la jalousie à Gabriel, elle sentit qu'on la tirait de ce sommeil qu'elle approchait à peine.
S'en extirpant difficilement, elle ouvrit ses paupières, qui lui avaient rarement paru si lourdes, et se redressa en s'y reprenant à trois reprises avant de réussir à se décoller de Gabriel.
Un peu perdue après cette courte sieste qui lui avait fait oublier les dernières heures, elle regarda autour d'elle. Reconnaissant l'hôpital derrière elle, elle se souvint de la tentative de suicide de Salim, de son intervention magique qui lui avait sauvé la vie et de leur visite. Prolongeant son observation, elle avisa Raphaël parmi ses autres camarades.
Le garçon avait les yeux étrangement luisants, comme si il avait pleuré, et ses joues étaient bien plus colorées qu'à l'accoutumée.
Le remarquant également, les autres lui demandèrent si ça allait, notamment Lucille et Marianne, et Alana s'enquit de ce qu'il s'était passé avec Salim, supposant immédiatement que c'était la faute de ce dernier, mais Raphaël la détrompa rapidement en assurant que tout allait parfaitement bien en détournant les yeux. Cela qui aurait pu être la preuve qu'il mentait si ça n'avait pas été habituel qu'il ne regarde personne directement donc impossible de savoir avec certitude.
À partir de ces quelques observations, Eléa comprit que Raphaël les avait rejoint, leur permettant de regagner l'institut Belforde et, que, donc, Gabriel l'avait doucement secouée pour la réveiller.
Le jeune homme lui sourit mais son sourire avait quelque chose de tiré et d'incertain, trahissant son inquiétude qu'il ne pouvait totalement dissimuler.
Apparemment, laisser, pour certainement la première fois, jaillir ses véritables sentiments et sa personnalité avait fragilisé ses capacités à jouer son rôle et son masque en était beaucoup moins efficace, ou alors, c'était que sa préoccupation était telle qu'il ne parvenait pas à la ravaler. Cette constatation ne renforça cependant pas l'inquiétude d'Eléa. Au contraire, la jeune fille fut soulagée de découvrir qu'il réussissait à manifester ce qu'il éprouvait réellement à l'intérieur.
Lui tendant galamment la main, Gabriel l'aida à se lever, pas seulement en geste de gentleman mais également car il s'apercevait que c'était nécessaire pour elle dans son état qu'il l'aide.
Suivant les autres, l'un soutenant l'autre, ils rejoignirent l'arrêt du bus qui devait les ramener à l'institut.
Comme à l'allée et comme avaient déjà pu le constater Alana et Léo lorsqu'ils étaient allés chercher Roxanne, personne dans le véhicule n'osa poser les yeux sur eux de crainte que leur regard ne soit mal interprété et les conduise en garde-à-vue, comme c'était à présent possible avec ces nouvelles lois.
Même si on n'avait pas supprimé leurs droits, une barrière encore plus haute semblait s'être dressé entre les magiciens et les gens normaux. Cette prise de conscience avait quelque chose d'effrayant.
À l'un des arrêts, plus très loin de celui où ils descendaient, Adriel monta à bord et il ne s'agissait certainement pas d'une coïncidence. De toute évidence, Nolwenn l'avait averti de la situation et il avait décidé de les rejoindre pour soutenir sa petite-amie et ses camarades.
Si tous le saluèrent en souriant, Gabriel retint une grimace. Il n'aimait pas voir Adriel fréquenter l'institut de trop près car, comme il l'avait déjà remarqué, il correspondait parfaitement aux critères des victimes du tueur : une personne sans pouvoirs qui se trouvait pourtant sur le domaine de l'école pour magicien or, même si il n'avait pas fait particulièrement parler de lui dernièrement, l'assassin courait toujours et Gabriel craignait pour sa sécurité.
Adriel ne semblait cependant pas en avoir conscience ou bien il s'en moquait. Gabriel ignorait quelle possibilité il préférait et laquelle le rassurait le plus.
Même si il aurait donc préféré le savoir loin, le jeune homme sourit alors qu'il échangeait une accolade avec son cadet. Durant la période de fermeture où ils avaient partagé une chambre dans l'appartement de Violette, les deux frères étaient devenus très proches.
Nolwenn, faussement jalouse de passer en deuxième après Gabriel dans les priorités d'Adriel, vint se coller contre le jeune homme pour lui rappeler sa présence, qui n'avait évidemment pas échappé à Adriel. Ce dernier passa un bras autour de ses épaules et déposa un baiser sur ses lèvres.
Ils commencèrent à discuter, échangeant quelques banalités, et les préoccupations de l'allée semblèrent s'estomper quelque peu jusqu'à ce que quelqu'un, un homme installé non loin dans le bus, lance à Adriel qu'il aurait bien fait de s'éloigner d'eux, le groupe de magiciens, parce que, avec toutes ces nouvelles mesures, il risquait d'avoir des problèmes et qu'il s'exposait à de graves ennuis.
Ce à quoi Adriel répondit par un sourire en coin avant de se détourner, signifiant qu'il ne prêtait aucunement attention à ce genre de conseils et n'en avait cure, ne comptant pas se fatiguer à répliquer ou à argumenter dans l'opposition.
Ce qui n'était visiblement pas le cas d'Alana, plutôt du style à se jeter dans la confrontation. La jeune fille aux yeux roses se piqua face à l'homme s'étant permis cette réflexion, les poings sur les hanches, et lui demanda, davantage comme une question rhétorique que comme une véritable interrogation, en quoi ça pouvait bien le concerner et que, au lieu de se mêler de ce qui ne le regardait pas, il ferait mieux de fermer sa gueule.
L'homme ne répliqua pas et regarda ailleurs après s'être excusé, craignant visiblement d'avoir des problèmes pour avoir, même indirectement et involontairement, provoqué une magicienne.
Même si l'incident ne se prolongea pas, le reste du trajet jusqu'à l'institut fut pesant et tous furent soulagés de descendre du véhicule pour terminer les derniers mètres à pieds, toujours accompagnés d'Adriel, qui comptait apparemment passer l'après-midi en leur compagnie.
D'un commun accord, ne voulant pas se séparer pour partir chacun de leur côté dans un coin de l'institut dans ces circonstances, ils s'installèrent dans le foyer du hall, prenant possession des fauteuils et d'un des divans.
Aucune conversation ne parvint à se lancer. La tentative de suicide de Salim et les propos de cet homme dans le bus les rendaient d'une humeur bien sombre.
Encore une fois, Eléa se laissa aller à la somnolence contre l'épaule de Gabriel qui veillait sur son état, ce qui ne provoquait aucun commentaire parmi leurs camarades, ce qui était bien la preuve de leur profonde préoccupation.
Soudainement, Sylvain rompit la monotonie de ce silence en se levant, l'esprit visiblement ailleurs. Il fallait dire que la tentative de Salim l'avait grandement secoué, lui qui ne pensait pas que quelqu'un puisse en arriver à de pareilles extrémités. Il n'avait pas été capable d'entre dans sa chambre depuis qu'Eléa et Gabriel avaient découvert son cochambre et, d'ailleurs, certainement ne pourrait-il pas se servir de la salle de bain avant longtemps.
Comme il ne dit rien à personne, Irwan lui demanda où il allait.

Les Yeux du Pouvoir - Tome 3 : Pensées Indigo [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant