Je me réveillai, lundi matin, cinq minutes avant mon réveil. Assumer mon comportement. Affronter les regards. Mettre un pied devant l'autre. Ce refrain me tournait dans la tête tel un Life motive. Mon ventre était crispé de douleur et mon visage était livide. Surmonter ce qui m'attendait m'apparaissait comme une montagne digne de l'Everest à gravir en quelques minutes. Le manque d'oxygène promettait de se faire sentir.
Je fis en sorte d'arriver au dernier moment dans mon lycée. Mille cinq cents élèves étaient au courant, d'après Jim, de ce que certains prétendaient être un exploit. Je voulais à tout prix éviter les regards braqués dans ma direction. J'entrai alors dans le bâtiment deux minutes avant la sonnerie, afin d'avoir juste le temps nécessaire pour arriver à l'heure en classe. Ni les élèves, ni les professeurs ne s'attendaient à me voir. Cependant, ils ne firent aucun commentaire. Certaines des filles dont j'étais le plus proche dans la classe demandèrent de mes nouvelles, s'assurant que j'étais bien remise de mon traumatisme. Betty m'observait d'un air hautain, derrière ses lunettes rondes. Je me contentais d'être discrète et de travailler en silence.
Le midi, je guettai Amber aux micro-ondes, espérant lui parler et lui présenter mes excuses. J'avais médité mon discours tout mon dimanche et m'impatientais de pouvoir à nouveau la serrer dans mes bras. Mais je ne la vis pas de la journée. Pire encore, je croisai Arson, qui me demanda si j'avais des nouvelles d'elle. Après lui avoir répondu que je ne lui avais pas reparlé depuis notre altercation, je lui demandai, soudain inquiète, depuis quand il ne l'avait pas vue.
-Elle n'était pas au lycée de toute la semaine passée, elle m'a prétexté une gastro-entérite aigue, et qu'elle était dans un état si lamentable qu'elle ne voulait voir personne.
Amber malade ? Ça me semblait impossible. Elle avait toujours eu une santé de fer. De voir une licorne-pégase sur un arc-en-ciel aurait été plus probable. Il me fallait absolument lui parler...
-Hey salut Sakura ! Comment vas-tu depuis samedi ? Ta sœur a apprécié la glace j'espère ?
Oh non... Il ne manquait plus que ça ! Ash revenant à la charge...
-Ah salut je ne t'avais pas vu ! Je crois qu'elle était contente oui. Désolée mais je discute avec Arson là en fait.
-Salut Arson !
-Salut mec ! T'inquiète pas, je te laisse avec ta meuf, on avait fini de discuter.
-Arson attend !
-Désolé mes potes m'attendent.
Et c'est comme ça que je me retrouvai, une fois de plus, face au seul visage que je ne voulais pas croiser. Pire que de gravir l'Everest, entretenir un semblant de discussion avec Ash, c'était parcourir la distance Terre-Lune aller-retour en un record marathonien.
-On n'a plus rien à se dire, je vais aller manger. Ciao !
-Non attend !
Il m'attrapa le bras et m'empêcha de partir.
-Lâche-moi immédiatement, dis-je d'un ton brutal, le regard glacial dirigé sur sa main en contact avec ma peau.
-Je m'excuse pour samedi. J'ai eu un comportement stupide.
-Je ne veux pas de tes excuses, je veux juste qu'on arrête de se parler.
-Sakura, c'est vraiment difficile pour moi...
-Je sais. Pour moi aussi. Mais j'ai besoin de mon espace vital. Alors laisse-moi respirer, tu m'as étouffée ces cinq derniers mois et j'ai vraiment besoin de me retrouver.
-Ok. Je te laisse tranquille.
Il se retourna légèrement, mais alors que je croyais être enfin débarrassée de ce parasite, il me regarda droit dans les yeux et me demanda :
-Mais pourquoi est-ce que tu m'as largué ? Tu m'as dit que j'étais égoïste et étouffant, mais je peux changer ! Pourquoi avoir pris une telle décision sans même m'en parler ?
-Ash, je refuse d'en discuter. C'est ma décision, et qu'elle te plaise ou non c'est ainsi. Tu ne veux pas l'accepter ? C'est ton problème. Mais j'entends que tu respectes mon choix.
Sur ce, je tournai les talons et remontai en classe. Cette brève discussion avait suffi à gâcher ma journée. Je n'avalai pas même un morceau de mon plat, l'estomac complètement retourné et le sang me martelant les tempes. De plus, il avait attiré l'attention sur nous, de telle sorte qu'une cinquantaine de regards s'étaient braqués sur moi, et les murmures qui s'élevaient me vrillaient les oreilles. Je m'enfermai dans les toilettes, la gorge serrée par la rage et le malaise. Je ne pus retenir mes larmes, qui glissèrent le long de mes joues, et semblaient s'évaporer au contact de leur chaleur, laissant deux traces salées. J'aurais aimé entendre la voix rassurante de ma mère, sentir les bras protecteurs de mon grand frère ou écouter Amber maudire celui qui me mettait dans un tel état, jusqu'à m'arracher un sourire. Mais j'étais complètement seule.
Lorsqu'enfin je quittai le vieux bâtiment imposant et me dirigeai au pas de course en direction de ma maison, je ne me sentis pas soulagée, mais au contraire submergée par la colère et la tristesse. Cette journée m'avait achevée et je ne pouvais m'empêcher de pleurer. Des frissons me parcouraient le dos alors que ma tête manquait d'exploser. Je ne souhaitais plus qu'une chose : regagner mon lit.
-Salut la guitariste amateure ! Alors cette journée ? Pas trop atroce ?
Jimmy... Destin ou coïncidence ? Décidément, je n'étais pas épargnée aujourd'hui...
-Ah salut ! Eh bien, c'était à peu près comme plonger la tête la première dans une piscine de fourmis ultra urticantes mais à part ça... Disons que j'y ai survécu.
-C'était si terrible ?
Le coin de sa lèvre frémissait, je savais qu'il réprimait un sourire... moqueur.
-Pire encore. J'ai été fusillée par Betty, lapidée par les élèves en général et désagrégée par la seule personne que je priais de ne pas voir.
Je ne sais pas pourquoi je me confiais à quelqu'un que je ne connaissais qu'à peine, mais je ressentais un besoin presque vital de partager ce poids qui m'écrasait la poitrine. Cependant, je ne souhaitais quand même pas abuser, aussi coupai-je court et m'éloignai plus rapidement, feignant l'urgence.
Une fois arrivée chez moi, je déposai mon sac dans ma chambre, fermai à clé et me laissai glisser contre la porte, les genoux contre la poitrine. Je sanglotai jusqu'à l'assèchement puis me mouchai, souhaitant que cette journée se termine. Je me dirigeai vers mon lit, hésitant à dormir jusqu'au lendemain, lorsque j'aperçus une enveloppe et deux petits paquets sur mon bureau.
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Le parfum de l'arc-en-ciel
ParanormalSakura Valsky était une jeune femme épanouie. Dans sa contrée paradisiaque, à quelques kilomètres d'une mer turquoise, elle menait une vie normale. Jusqu'à ce que l'équilibre de ses émotions se rompe. Et qu'elle s'évanouisse sur la plage. Et qu'une...