Chapitre 5 - Regards croisés au coin du feu

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Ce soir-là, je n'arrivais pas à m'endormir. Mes parents étaient au restaurant avec des collègues et Kethleen passait la nuit chez une amie. Vers onze heures, j'enfilai un legging et un sweatshirt, puis sortis. Portée par la fraîcheur de la nuit, je me dirigeai, d'un pas tranquille, en direction de la ville. La route était bordée de grands arbres et de lampadaires. Les cigales chantaient et une odeur d'herbe humide flottait autour de moi. Je longeai la route les mains dans les poches, refoulant tout sentiment de désespoir, de colère ou de tristesse. Tout se succédait avec une rapidité effarante dans ma tête, les réflexions se bousculaient jusqu'à me donner la migraine. J'aurais aimé appuyer sur l'interrupteur off et pouvoir souffler.

Je marchai une vingtaine de minutes dans le calme, quand j'entendis un bruit lointain, semblant provenir de la lisière de la forêt. En plissant les yeux, j'aperçus un feu de camp, et en tendant l'oreille, je reconnus des accords de guitare.

Hypnotisée par la douce musique, je m'approchai en silence, quittant le chemin éclairé. Lorsque je ne fus plus qu'à une dizaine de mètres de la source mélodieuse, je reconnus le guitariste comme élève de mon lycée. J'avais la vague intuition qu'il était en quatrième et dernière année, sans pour autant en être certaine. C'était un garçon châtain avec de longues mèches lui tombant sur le visage. Il portait un bonnet bleu foncé à moitié enfoncé sur ses oreilles, un T-shirt blanc sous une veste en jean, un pantalon noir et des baskets basses. Je l'observais depuis quelques minutes, dissimulée derrière un arbre, lorsqu'il s'arrêta brusquement de jouer et tourna la tête dans ma direction. Un frisson me parcourut le dos.

-Y a quelqu'un ?

Sa question me pris de court. Je ne souhaitais pas être malpolie mais rester cachée sans réponse aurait été insensé. Je m'avançai donc plus près et répondis :

-Hey ! Désolée de te déranger, je n'ai pas pu résister à l'appel de la musique...

Ma réponse me parut tout de suite stupide, j'aurais pu me contenter de m'excuser de l'avoir observé à son insu !

Il me scruta d'un air hésitant puis retourna la tête et rangea sa guitare. Je m'attendais à une question comme "ça fait longtemps que tu m'épies ?" ou "pourquoi étais-tu cachée ?" ou encore "qu'est-ce que tu fais ici à cette heure ?" mais il ne dit rien.

-J'imagine que tu ne voulais pas être dérangé alors je vais te laisser, encore désolée de t'avoir embêté...

Je tournai les talons et commençai à m'éloigner, honteuse de mon comportement, lorsqu'il m'interpella :

-Tu t'appelles Sakura non ?

Je m'arrêtai et me retournai, déconcertée qu'il connût cette information.

-Euhhh oui... Mais comment connais-tu mon prénom ?

-Le crash de l'IPhone X de Betty a fait le tour du lycée, t'es devenue tellement populaire que tout le monde connaît ton prénom, même ceux qui ne t'ont jamais vue.

J'écarquillai les yeux et me sentis rougir comme une pivoine, tout en priant pour que mon embarras soit dissimulé par la nuit. Je n'allais pas seulement devoir affronter le regard de ceux qui m'avaient vue dégénérer, j'étais littéralement devenue la risée de mon école.

Finalement, peut-être que de feindre la paraplégie pour rester dans mon lit le restant de mes jours serait mieux... Non. Je ne pouvais imaginer ça, quelle que soit la gravité de la situation. Les personnes devant supporter cet état seraient sûrement outrées de mes lamentations...

-Tu penses rester debout à regarder l'herbe sans bouger encore longtemps ?
Je croisai son regard moqueur, encore écarlate et de plus en plus gênée.

Le parfum de l'arc-en-cielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant