Haine

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Voilà comment tout a commencé. Comment nous sommes passés en à peine un an et demi de l'innocence à la violence. Ce soir là nous avions décidé de frapper fort. Faire mal. Être plus forte que les hommes. Récupérer le pouvoir. Cela rimait à manipuler, séduire, appâter, blesser. C'est un bon résumé de ce que nous avions mis au point ce soir là. Il n'a même pas été difficile de nous y mettre. Non, loin de là. Quelque chose de profond nous rongeait. Nous cherchions une solution pour que ça passe, pour s'apaiser. Même si le remède trouvé était mauvais, il nous parut être efficace sur le moment.

La haine est un sentiment intense. Quand elle s'immisce en vous, c'est d'une façon douce-amère. Ça ne fait pas tellement mal au début. On se sent animé de quelque chose de nouveau. Nouveau et fort. Comme un poison qui ne tuerait pas instantanément. Elle s'installe petit à petit. Elle se diffuse et l'objet de votre haine emplit votre esprit. Quand vous y pensez les muscles de votre corps se contractent, votre mâchoire se tend. C'est la que la douleur commence. Quand la haine devient physique.

Souvent je me levais et sans y prendre garde, je la ressentais. Elle guettait dans un coin. Et j'avais mal dans les membres parce que je ne savais pas quoi en faire. Comment la dompter ? Je n'avais pas appris. Personne n'apprend ça. J'étais peut-être trop jeune pour ressentir un tel sentiment. Aussi paradoxal que ça puisse paraître, je l'aimais. Cette haine qui m'enserrait. Elle me maintenait en vie. Cependant néfaste car elle était partout au cœur de ma vie. Ma nouvelle amie me tenait compagnie, je me sentais forte. Animée, vivante et aussi totalement dévastée. Je savais d'où elle me venait, pourquoi elle était là. Et ce sentiment collait à ces images sales qui me revenaient encore et encore. La nuit, le jour, en mangeant, en riant. Partout. L'incongru était de finir par haïr les hommes. Le sexe faible, les agresseurs, les barbares. Les pires moments étaient ceux ou dans un parc, un bus, un train, je repérais un homme. Je l'épiais et détaillais tout ces faits et gestes en repérant le prédateur en lui. Si son regard était un peu trop fuyant, il était lâche. S'il osait me sourire, un obsédé. Il se grattait l'entrejambe ? Un porc. Mes contemplations nourrissaient ma haine. Ma haine déclenchait mes contemplations. C'était sans fin. J'ai donc décidé qu'aucun homme n'était bon. Qu'ils portaient le mal en eux. J'ai maudit le fait d'être une femme, j'ai été soulagée de ne pas être un homme. Survivre. Ma vie semblait se dérouler sous couvert de répits qui ne duraient jamais réellement. Je me cachais derrière une autre, une fille dont le reflet me dégoûtait parce qu'elle n'était pas moi et quand je cherchais un peu plus profond celle que j'étais vraiment, elle semblait ne plus exister. J'ai ainsi fini par me haïr aussi.

Je me souviens d'un jour en particulier. Dans le bus un homme appuyait son regard sur moi, il me détaillait sans gêne. Des frissons me parcouraient le corps. Mes poings se serraient de rage. J'ai senti une espèce de courant électrique me parcourir. Un profond dégoût m'avait pris à la gorge. Il ne se rendait compte de rien et continuait de me toucher le corps de ses yeux vicieux. J'étais prête à lever la main sur lui lorsque le bus s'arrêta et que l'homme en descendit. Je l'ai suivi du regard jusqu'à me dévisser la tête. J'avais mal au corps de rage. Comment avait il pu se permettre de me reluquer comme si je n'étais qu'une vulgaire chose ? Quand j'ai fini par me calmer j'ai découvert que ma culotte était mouillée. Je n'avais pas fait sur moi, non. C'était autre chose. Une excitation malsaine. Ma haine m'excitait. Découvrir ce pouvoir allait nous aider les filles et moi dans nos plans dévastateurs. C'est la haine le début, disons la suite de notre histoire que nous vous livrons ici. Nous avons décidé de mettre par écrit cette période noire de notre jeunesse. Cette période nous a marqué. Elle nous a transformé en des adultes brisées qui se battent au quotidien pour paraître normales. Des mois et des années à se battre avec nos émotions, sans quitter la peau de ces adolescentes perdues et blessées. Nous avons décidé de raconter notre histoire, peut-être pour trouver une porte de sortie et enfin vivre des vies de femmes épanouies.

Avez-vous déjà songé au long processus qui amenait des bûches de bois solides à devenir de la cendre ? Jour après jour, la haine me consumait de l'intérieur. Elle nous consumait, moi et mes amies.

Rassemblez un tas de cendres tout de suite après que le feu s'est consumé entièrement, vous obtiendrez de la poussière fumante. Si vous y toucher, vous vous brûlerez.

Nous étions devenues dangereuses sans même le savoir. Il n'y a pas eu de préméditation. Aujourd'hui je me dis que si c'est arrivé c'est que nous étions ensemble. Dans un monde où les âmes meurtries ne trouvent pas leur place. Nous nous sommes rassemblées en une milice féminine redoutable.

Sur Internet ils étaient légion. Infidèles, pervers, des hommes faibles par milliers. Dans les parcs ils étaient plus nombreux encore. A la terrasse des cafés, partout dans la ville, ils nous attendaient. Chasser sa proie nous avions vite appris. Trop vite. Observer les signes. Par instinct de survie nous étions capables d'éviter les dangereux prédateurs et de nous concentrer sur les victimes potentielles. Dociles. Malgré l'inconscience de notre entreprises, nos blessures nous rendaient prudentes.

Je me suis lancée dans ma vengeance avec convictions. Je pensais sincèrement au début que j'allais me sentir mieux. Je pensais rendre service à l'humanité. Aux femmes. Je voulais que mon mal s'atténue. J'ai sincèrement cru que ce serait un moyen efficace. J'y croyais.

J'avais lu à l'époque que la haine était un moteur diesel. Ça n'avait pas résonné aussi fort en moi aujourd'hui. Pourtant je m'en rappelle toujours. Toute action menée sous l'influence sera mauvaise. Parce que haïr est comme une gangrène qui ronge le bien, ne laissant que ce qu'il y a de plus mauvais en nous. Vous pouvez être la meilleure personne sur terre, si vous agissez sur une impulsion de haine, ce que vous ferez n'aura rien de bon. La haine amène à l'autodestruction. C'est un détonateur de misère. Il arrivait que je me mette à trembler sans raison. Je tremblais comme un drogué en manque parce que j'avais peur de ce qu'il y avait en moi. J'avais peur de le porter jusqu'à ma mort et que je finisse par ne plus jamais rien contrôler dans ma vie. Tout ce que je faisais était la conséquence d'un acte horrible, je vivais de ça. Tous mes sentiments étaient nourris de cet acte. Comme le battement d'aile d'un papillon. Un jour j'ai croisé un être infâme, je l'ai laissé m'approcher, je l'ai laissé me faire du mal. Et ce qu'il restait de moi c'était de la cendre qui s'embrasait dès qu'on me soufflait dessus. Prenez un instantané de moi à ce moment-là. Le regard si vide, si noir. Il y a des moments précis de cette période de ma vie où je pouvais simplement dire que je n'étais rien d'autre qu'une bombe qui attendait de tout ravager sur son passage. A cause d'un acte, un jour qui m'a amorcé et laissé là dans un compte à rebours cruel. 

Le ProcèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant