Audrey

10 1 0
                                    

J'étais timide. Peu sure de moi. Ce qui se passait à la maison m'empêchait d'être une petite fille enjouée. Les secrets ça vous bouffe. Je parlais toujours très bas. J'avais toujours peur qu'un mot, une phrase, une intonation puisse me trahir. J'avais toujours les bras croisés sur le ventre. Une barrière entre le monde et moi. Et ce n'était pas le monde qui me faisait souffrir. Je pense que je n'avais même pas conscience de souffrir. C'était comme ça c'est tout. C'était ma vie. Ma normalité. J'adore les gens qui parlent de la normalité ou de la logique comme quelque chose d'implacable. Ils ne savent surement pas que ce sont des concepts propre à chacun. Ce qui est normal pour vous ne le sera pas pour moi et vice versa. Donc voilà, oui c'était ma normalité. Même si au fond de moi je le savais que ce n'était pas bien. J'aimais aller à l'école mais je ne m'y faisait pas remarquer. Elève moyenne, notes moyennes. J'avais des copines. Je n'approchais pas les garçons. Je faisais comme s'ils n'existaient pas. Logique! Je savais ce qu'ils avaient entre les jambes. Je n'avais pas le droit d'aller aux anniversaires. En, fait je n'avais pas le droit d'aller chez des copines. Mes sorties de la maison se résumaient à aller à l'école. Je n'allais pas en courses avec ma mère, je n'allais pas au parc, je n'allais nulle part. Mon univers était très restreint. Les copines parlaient souvent d'endroits qui m'étaient inconnus et qui dans mon imaginaire semblaient merveilleux. Je me promettais qu'une fois adulte je voyagerais. J'irais découvrir le monde et que je n'aurais plus à croiser les bras sur mon ventre. Ma maison était belle. toujours propre et rangée. Ma mère ne supportait pas le désordre, ni la poussière. Je pense que c'était la seule chose qu'elle pouvait contrôler sous son toit alors elle y mettait du coeur. C'était maladif. quand je rentrais de l'école, elle nettoyait méticuleusement les semelles de mes chaussures à chaque fois que je rentrais après l'école. Autant vous dire que je ne sautais jamais dans la boue. Je ne grimpais pas aux arbres. Je faisais très attention à rester propre tout au long de la journée. Si jamais je me tachais une grosse boule d'angoisse apparaissait dans ma gorge et ne me quittait plus jusqu'à ce que j'affronte ma mère. Elle entrait dans un état de nervosité absolue face aux tâches. Elle s'employait à vite les faire disparaitre. Il y avait dans la buanderie une collection impressionnante de détachants. C'est drôle les souvenirs qui restent. Les années passent et je me souviens encore du détachant. On s'accroche à ce qu'on peut. Et ce qu'on laisse derrière. Sa présence était comme une chape de plomb. Dès qu'il entrait tout se figeait. L'air autour de moi était lourd et je m'arrêtais de respirer jusqu'à manquer de souffle. Quand je me remettais à respirer, j'avais mal à la poitrine. Comme si des clous me perçaient les poumons. Même ma mère mettait fin à toute occupation en attendant qu'il daigne lui donner un ordre. Nous ne bougions pas. Ni elle, ni moi. Cela pouvait durer des heures. Attendre que le maitre des lieux nous autorise à vivre. Nous n'étions là que pour le servir. A sa merci. A la merci de ses besoins, de ses humeurs, de sa violence. Je n'ai jamais su que c'était un homme important avant que je n'ose parler. Je ne connaissais de lui que ce qu'il me faisait subir. Ce que ma mère laissait faire. Oui, un jour j'ai appris qu'il avait du pouvoir ailleurs qu'à la maison. Ses cravates qu'il aimait tant étaient signes de son grand pouvoir. Je vous affirme que je déteste les cravates. Le nombre de fois qu'elles ont servies à m'attacher pour m'humilier, je ne peux les compter. C'était un homme profondément cruel, vicieux. Il adorait nous tomber dessus après avoir été mielleux, nous laissant l'espoir d'un moment de répit. A force, j'étais angoissée en permanence et je ne relâchais jamais la pression. A l'âge de 10 ans j'ai eu un ulcère, et il a été conclut que l'école me stressait. Etre d'une famille bien sous ton rapport est encore pire que tout lorsque des atrocités sont commises. Personne ne soupçonne jamais les hommes qui portent des cravates en soies. Le joug des hommes malades ne s'arrête pas aux foyers dans la misère. La violence n'est pas épargnée par un compte en banque bien remplit. Les diamants ne vous protègent pas du vice. Quand dans un filet de voix j'ai enfin eu le courage de raconter à demi mots à l'infirmière scolaire, elle m'a regardé d'un air dubitatif. Elle ne m'a pas cru tout de suite. Et après je n'ai plus eu envie d'en parler. Passer pour une menteuse, passes encore. Mais avoir le courage de parler et ne pas être entendue est pire que tout. C'est comme subir encore. Etre reniée. Comme si je n'existait pas. Il y a le monde des adultes, plein de faux semblants. Les regards de côtés, les oeillères, les filtres. Le monde des adultes est remplis de contre réalités. Ne surtout pas se confronter à ce qui est moche. Se donner l'illusion que tout va bien et surtout fermer les yeux sur l'impensable, l'inimaginable, l'inavouable. Et de temps en temps quand un enfant ose les confronter à ce qu'il y a de plus moche comme réalité, il y a ce moment de flottement. Entre ce qu'il convient de faire et ce qui serait plus confortable de penser. Et c'est ce moment de flottement qui est vécut comme une trahison, un manque de courage. Je me suis sentie seule dans ma chambre subissant le mal. Je me suis sentie seule face à l'infirmière. Je me suis sentie seule face à ma mère. Seule face au monde. Seule face à l'éclatement de ma famille. Je me suis sentie seule jusqu'à ce que je rencontre les filles. J'appartenais à un club. On m'avait tendu la main. on s'occupait de moi. Je ne croisais plus la main sur mon ventre. J'étais responsable de ce que je me faisais subir. Je l'avais décidé de moi même. Et vous n'imaginez pas à quel point ça comptait. 

Le ProcèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant