Mafia

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Laisser cet homme me toucher c'était un acte de guerre. On déteste le faire, mais il faut l'accomplir par loyauté. Envers qui me devais-je d'être loyale ? Je n'en sais rien. Mais ma présence aux côtés de cet homme qui me répugnait. Mon comportement. Mon abandon. Le jeu que je jouais était un acte surhumain au vu de ce que je ressentais.

Femme fatale pleine de désir. Scène 1. Sourire, soupirer, gémir. Scène 2. Envie de vomir. Embrasser. Goûter sa langue. Envie de meurtre. Scène 3. Quand il a posé ses mains sur moi, je me suis enfuie. Pas physiquement. Ma chair était là, avec lui. Mon esprit, lui est allé se réfugier ailleurs. Le dégoût que j'ai ressenti à son contact était tel, qu'une personne censée aurait déserté. Persuadée que j'étais investie d'une mission divine, je suis restée. Tout en mon être intérieur hurlait. J'avais la nausée. Une envie de vomir qui ne voulait plus me quitter. L'impression que sous ma peau le sang se retournait dans tout les sens. Mes veines me faisaient si mal. J'avais une furieuse envie de me gratter, de m'arracher la peau pour voir ce qu'il se passait là-dessous.

Comme je l'ai dit mon esprit avait pris la fuite. Je m'imaginais loin. Ailleurs. Au milieu de livres. Des livres anciens et poussiéreux. J'ignorais pourquoi, mais ce scénario me rendait plus sereine et plus forte.

Je me comparais à une prostituée. Je ne touchais pas d'argent et ce n'étaient pas mes clients, voilà la différence. Mes victimes. Faire souffrir autant que je souffre. Détruire leurs vies. Me venger. Nous venger.

Si je pensais à moi plus tard. A mon avenir. Je ne voyais rien. Prise à mon propre piège il n'y avait pas de lendemain. Rien. Que des aujourd'hui. Vides de sens. Si je pensais à moi hier. J'avais envie de vomir celle que j'étais. Je n'arrêtais pas pour autant.

Ma vengeance était devenue mon quotidien. Ma haine me permettait de tenir. Toujours la même qui au lieu de s'atténuer, prenait racine et devenait plus intense. J'imaginais souvent qu'un jour tout s'effacerait.

Les yeux ne mentent pas. Et Léa s'emportait facilement si on ne la regardait pas droit dans ses iris. Un rapport de force. Moi aussi, souvent j'étais terrifiée par le froid glacial de son regard. On n'y lisait ni tristesse, ni peine, ni compassion. Ni compassion envers nous, ses amies d'infortune, ni envers personne. Son visage angélique contrastait gravement avec le mélange de dureté et d'effroi ancré dans ses yeux. Les rares fois où elle croisait par hasard son regard dans la glace, son expression se changeait alors en mépris. Léa n'avait que peu de considération pour elle-même. Elle ne prononçait jamais son prénom, ne disait jamais « je ». Comme si elle n'existait pas. Ses yeux prouvaient le contraire. Et les hommes aimaient ça. Le contraste entre son visage de poupée, son sourire d'ange et son regard assassin. Oui, ils aimaient ça et elle le leur faisait regretter.

Un jour, il y eut David. Cet homme marié est tombé fou amoureux d'elle. Il s'aplatissait devant elle. C'était pathétique. Ridicule. A défaut d'amour, cela semblait être de l'idolâtrie. Une groupie n'aurait pas fait pire. Léa en jouait. Profitait. David était sa marionnette préférée. Elle avait eu une enfance tellement chaotique que jamais elle n'avait pu jouer à la poupée. Elle se rattrapa avec lui. Il se laissait faire. Accédant à chacune de ses demandes. Exauçant tous ses vœux.

Un jour enfin elle consentit à une relation charnelle avec lui. Les autres et moi attendions sagement qu'elle ait fini assise sur un banc non loin de l'hôtel où ils s'adonnaient à leur passion. Une habitude que nous avions prise. Allez à tous nos rendez vous chaperonnées à bonne distance. Nous étions toujours là les unes pour les autres. Ce que nous faisions enfermées dans ces chambres justifiait ces présences rassurantes. Savoir les filles tout près pendant et avoir leur réconfort après était quelque chose de rassurant.

Ce jour là, nous avons vu redescendre un David ébahi. Même de loin, il semblait avoir atteint le summum du bonheur. Et nous l'avons toutes détesté. Molester le corps de notre amie l'avait rendu heureux. Léa s'était approché de nous en crachant. Satisfaite. De marionnette, David venait de passer au stade de lavette. Serpillière humaine. Torchon de cuisine. Brosse à chiotte. Autant dire, au stade de rien.

A ce moment là nous ne connaissions pas encore le concept de l'orgasme. Le sexe ne rimait pas avec plaisir. Plus un homme prenait son pied et plus on le méprisait. Il nous semblait qu'ils nous volaient quelque chose de précieux. Encore une fois. Bien sur nous étions consentantes. Nous avions même provoqué la chose. A moitié seulement. On ne partageait rien avec eux. On ne s'offrait pas. On se mettait à disposition et plus ils prenaient, plus on les punissait.

David finit par ne plus pouvoir se passer de Léa. Et Léa le torturait. Elle y prenait un plaisir sans limites. Ignorance. Rejet. Dédain. Et elle revenait mielleuse, elle jouait l'amoureuse. Et elle l'ignorait encore. Loin de le décourager, il revenait, il était là. Suppliait. Implorait. Il bavait d'envie. Et réclamait sa dose d'elle. Comme un héroïnomane. Ses états de manque se traduisaient par des messages désespérés. Il avait perdu le peu de dignité qu'il lui restait. Après des mois de ce traitement, Léa s'est lassé. Elle a changé de jouet. Léa a oublié David. David n'a pas oublié Léa. David s'est donné la mort.

Audrey, Elena, Léa Cathy, Johanna, Sarah et moi avons compris après ça que l'homme est un être faible. Ça n'aide pas à se sentir mieux. Au contraire. Des hommes faibles ont pris nos vies. Et nous avons laissé faire. Voilà le constat.

Nous n'avons ressenti aucune peine pour David. Nous avons pris conscience de notre pouvoir. La meute était lâchée. Sans scrupules.

Nous avons détruis des familles, brisés des couples, anéanti des hommes. Toujours la même histoire. Séduire. Devenir une obsession. Devenir une drogue. Mettre à terre. C'était si facile. Complices les unes des autres. Loyales. Une mafia féminine.


Le ProcèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant