On apprend aux petits enfants qu'il ne faut pas parler aux inconnus. Que le danger vient du dehors. Que les étrangers sont dangereux. A moi aussi on me l'a dit. J'ai fais attention. Je baissais les yeux dans la rue pour ne pas désobéir à mes parents. Sauf que la vie m'a enseigné que j'aurais du me méfier de la maison. Et vu les statistiques je ne suis pas la seule à avoir été trompée. La vie est meilleure conseillère que les parents.
Je n'entrerais pas dans les détails. J'ai posé un voile sur ces moments de ma vie. Un voile en soie qui rend tout cela plus flou, plus doux, moins rugueux. Je suis faites de tout cela évidemment. Mais pas que. Parce que avant mon beau père j'ai eu un père. Et ce père, représente tout ce que je peux nommer bonheur. Ma définition de la joie c'est lui. Ce qui me maintiens et réussit encore à me faire sourire, c'est son souvenir. Mes premiers éclats de rire je sais que c'est à lui que je les dois. Il sentait un mélange de gasoil et de métal rouillé. C'était un mécanicien. Ses mains étaient grandes, larges et calleuses. A mes yeux elles représentaient la douceur même. Il avait de longs cheveux noirs qui lui tombaient dans les yeux et je m'amusais avec mes petites mains à les passer derrière ses oreilles quand il rentrait le soir. Son regard devenait si lumineux quand il me regardait. J'étais tout son monde, il était mon univers. Je n'avais besoin de rien, que de lui. Tout le temps qu'il fut vivant, je me rappelle à peine les moments passé avec ma mère. C'est lui qui me réveillait le matin, c'est avec lui que je prenais mon petit-déjeuner, il m'emmenait à l'école et me souhaitait bonne journée. Et je passais toujours de super journées.
Les premiers mots que j'ai su écrire sont « papa, je t'aime ». Et je lui laissais des petits bouts de papiers un peu partout où je reportais ces mots. Je me délectais de son amour. Je me perdais dedans et c'était si bon. J 'étais une petite fille heureuse. Un jour il est mort. J'avais 8 ans. Ma mère est venue me chercher et me l'a dit, juste comme ça : « ton père est mort ». Je ne sais plus comment j'ai réagis exactement. Ce qui ne m'a jamais quitté, c'est cette sensation de tomber au fond d'un gouffre mais sans ne jamais atterrir. Ce jour là j'ai commencé à tomber et je tombe encore. Je crois aussi que ma mère est réellement apparue à mes yeux. Terne et sans émotion. Etait elle déjà ainsi avant ? Je ne me souviens pas. Même si je me concentre très fort, tout ce que j'arrive à voir c'est le sourire de mon père. Pourtant je sais qu'elle était là, qu'elle vivait avec nous. C'était ma maman. Le manque de mon père a t'il occulté tous les moments avec ma mère ? Où alors je l'ignorais et elle m'en a voulu et ce qui s'est passé ensuite n'était qu'une vengeance ? Je n'ai jamais su, je ne saurais jamais. J'étais la fille à mon papa, j'étais devenue orpheline de père. Très vite après la mort de mon père cet homme en costume cravate est venu vivre à la maison. Très grand. Très maigre. Mon beau-père. L'homme de la nuit. Le bruit de sa ceinture. Son haleine de chlorophylle. Ses mains maladroites. Ses menaces. Ma mère à qui j'en ai parlé dès la première fois et qui m'a rit au nez. Son visage méprisant. J'ai lu tellement d'histoires ressemblant à la mienne que ça la rend tristement banale. Aucune originalité. Les petites filles ne sont pas en sécurité chez elles. Quelquefois l'extérieur est plus sécurisant. J'ai passé mon enfance à donner le change, il fallait garder le secret. Le début de mon adolescence a été très chaotique. Je pense que j'en voulais au monde entier. Lorsque j'ai eu 14 ans, je suis tombée enceinte. Et c'est ce qui m'a sauvée. En partie. Car voyez-vous, je vis toujours avec ma mère. Elle m'en veut, et aucune chaleur, ni compassion ne compose mon foyer. Elle me nourrit car je suis suivie par les services sociaux. Mais nos relations se résument aux besoins élémentaires. Elle m'adresse à peine la parole et j'ai l'impression que me parler lui demande un effort surhumain. Et moi je l'aime. C'est ma mère. J'en suis encore à quémander son attention. Quand vous avez connu l'amour suprême et que vous vous retrouvez sans rien. C'est un supplice de se lever chaque jour. Je me sens vide et ma chute n'en est que plus lente. Mes journées n'ont aucune saveur.
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Le Procès
General FictionEmma a vécu l'innommable. Elle raconte avec des mots crus et sans filtres comment cela à changer sa vie. Elle rencontre des jeunes filles de son âge qui partagent avec elle ses déboires. De l'innocence à l'impudeur la plus totale, elles se livrent s...