Tu ne l'as jamais dit à personne? La question qu'on entend tellement qu'à la fin on se sent encore plus coupable. Non, en effet je ne l'avais encore dit à personne mais aujourd'hui je parle. Et quoi? C'est trop tard? Les menaces, la peur, le chantage affectif et surtout l'incompréhension. Qu'est ce qu'on en sait quand on est petite que oui, on a le droit de dire lorsqu'un adulte vous dit qu'il faut se taire? Personne ne nous dit qu'on peut. Je ne savais pas que je pouvais. Le silence m'allait bien. L'indicible ne se raconte pas si aisément. Enfant, on est à la merci de tous les adultes qui nous entourent et qui nous disent quoi manger, quand manger, comment s'habiller, quand se lever, quand se coucher. En gros, un enfant appartient à un adulte et si l'adulte lui dit de se mettre nu l'enfant le fait. L'adulte veut utiliser le corps de l'enfant? Il le fait. La soumission de l'enfant va jusque là. Innocent et obéissant l'enfant fera plaisir à l'adulte. N'essayez pas de comprendre cela à travers vos filtres d'adultes. Vous avez dépassez ce cap. Enfin c'est ce que vous croyez. Pour en revenir à moi et faire court, ma mère voulait que je joue du piano. Son rêve était que je devienne une virtuose. J'avais déjà des mains de pianiste à la naissance il parait. Les adultes projettent de drôles de choses sur leurs enfants. Donc dès que j'ai eu 3 ans elle a cherché un bon professeur. Autant vous dire que c'était un très bon professeur. J'ai appris beaucoup avec lui. Beaucoup trop. Je ne joue plus de piano. J'étais douée pourtant. J'ai un piano chez moi. Il trône, menaçant, comme un rappel de ce qui pourrait arriver si je m'y remettais. Il y a des choses qu'on n'efface pas. On essaie, on fait comme si de rien. On sourit pour de faux parfois. On apprend l'art du camouflage. On relègue ses émotions au dernier plan. Il ne faudrait pas se laisser submerger. Est ce que ça va? On répond oui. On se mêle aux autres car la vie continue. Un pénis n'a jamais tué personne n'est ce pas? Est ce que ça fait mal. Oui, mais passons, demain ça ira mieux. Tu ne veux pas radoter. Une fois que j'ai parlé, les autres étaient catastrophés ou gênés alors j'ai tu mes émotions. Ne vous inquiétez pas c'est pas grave, au moins je sais jouer du Chopin comme personne. Je me tiens face à une jeune gendarme. Ses yeux sont fuyants. Elle semble concentrée sur les notes qu'elle prend. Ses doigts sont crispés sur son stylo. J'ai 13 ans. Elle m'écoute, sa voix se casse un peu, se rappelle qu'elle est gendarme. S'éclaircit la voix, pose des questions. Déglutit. Ecrit. Questionne encore. Regarde mes mains. Je les met dans mes poches. Me regarde, je baisse les yeux. Pourquoi je suis là déjà? J'avais regardé un épisode de New York unité spéciale. Ce n'était pas comme dans la série. Je ne me sentais pas à l'aise et ma mère n'arrêtait pas de pleurer à côté de moi. Depuis des années déjà j'avais cessé de pleurer. La nuit, longtemps je mouillais mes oreillers de larmes, et puis du jour au lendemain mes yeux ne pleuraient plus. Ça se passait à l'intérieur. Je me sentais vide. Je ne ressentais rien d'autres qu'une immense peine pour moi même qui s'inscrivait dans ma musique. Je connaissais les touches par coeur, je fermais les yeux et je jouais, laissant aller tout ce que j'avais au dedans de moi dans la musique et c'était bon. Tellement bon. Et la musique finissait par s'arrêter, je ne pouvais jouer indéfiniment. Et le vide m'assaillait. Une mélancolie qui me collait à la peau sans que je ne puisse jamais m'en défaire. La jeune gendarme a fait venir son collègue plus expérimenté il parait. C'est lui qui m'a demandé si je ne l'avais jamais dit à personne. Je ne sais plus ce que j'ai répondu. Ni si j'ai répondu. Je me souviens de cette question. Elle est restée gravée. Après ça la machine était lancée. Des années de procédures, d'auditions, de rendez-vous chez l'avocat. D'une mère en colère. D'un père dépassé. Un jour un verdict. Je vivais cela de loin, comme si ça ne me concernait pas. C'était injuste, j'aurais tellement voulu fuir et que ça s'arrête. Mais si vous dites ça, on pense que vous avez menti. Je n'étais pas une menteuse, je ne voulais plus subir les répercussions de tout ça. C'était comme une onde de choc qui se propageait de plus en plus loin. Un séisme au multiple répliques. J'étais l'épicentre et n'avait aucune prise sur tout ce qui se passait. J'étais la fille unique abimée de mes parents. Ils se disputaient sans cesse. Mon père en voulait à ma mère, ma mère à mon père. Peut-être m'en voulaient ils inconsciemment? De mon point de vue il n'y avait qu'un seul coupable. Lui. Sauf que nos vies aussi étaient impactées. Si j'avais su...Tout ce qui est venu ensuite. Les filles, les hommes, le mal. Ce ne sont que des dommages collatéraux. La suite des répliques du séisme. Quand le langage du sexe a été appris trop tôt, il devient langage universel. S'exprimer par le sexe. Le sexe comme arme. Sauf qu'a partir du moment ou l'acte est consentit, il n'est plus censé faire du mal. Et pourtant. Le consentement, n'implique pas l'épanouissement. Vous pouvez consentir pour de mauvaises raisons et le corps et l'esprit ne sont pas en phase. C'est une contradiction pour vous même. Le cerveau s'embrouille et vous êtes emportés dans la spirale infernale d'une addiction qui comme toute les autres vous conduit vers l'auto-destruction. J'ai été emportée dans cette spirale addictive, j'avais l'impression de compter. D'être maitre de mon destin. Ce n'était qu'une illusion parce qu'aujourd'hui je ne joue toujours pas de piano.
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Le Procès
General FictionEmma a vécu l'innommable. Elle raconte avec des mots crus et sans filtres comment cela à changer sa vie. Elle rencontre des jeunes filles de son âge qui partagent avec elle ses déboires. De l'innocence à l'impudeur la plus totale, elles se livrent s...