La Chair

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Dans nos esprits malades, il nous était difficile de voir l'absurdité de nos actions, ni le mal que nous engendrions. Nous prenions même énormément de plaisir à voir tous ces hommes ainsi souffrir.

En faisons le compte, nous avions à nous huit détruit une vingtaine de mariages, provoqué un suicide, et rendu malheureux des trentaines de couple. Nous agissions comme un virus qui une fois installé, gangrenait tout sur son passage.

Nous leur offrions nos corps. Nos feu corps d'enfants, dont la sensualité bourgeonnaient à peine. Ils aimaient ça. Les filles à peine pubères qui se donnaient gratuitement, et entièrement sans rien demander en retour. Ils le pensaient en tout cas. Il me suffisait de me pavaner maladroitement devant un homme. Je faisais mine de m'y intéresser avec un air de biche effarouchée. Il fallait avoir l'air d'être encore innocente mais avec sensualité. Je maniais parfaitement ça. Dès le premier regard posé sur eux, ils bombaient le torse, essayant de paraîtres plus virils qu'a leur habitude. Des hommes des vrais.

Je suis à la terrasse d'un café, je repère la proie idéale. Tiens en voilà un ! Son alliance brille à son doigt. Il semble très concentré sur la lecture de son journal. Alors je commence à m'agiter doucement sur ma chaise. Je chantonne pour attirer son attention, tout en dessinant sur mon cahier posé devant moi. Je sens qu'il lève la tête vers moi, je sens ses yeux de prédateurs se poser sur mon corps et le détailler de haut en bas. Je tire ma langue sur le coin de ma lèvre pour prendre un air enfantin et je lève la tête, je me tourne vers lui et lui souris avant de retourner à mon dessin. J'ai éveillé son intérêt par mon sourire. Il ne cesse plus de me jeter des coups d'œil auxquels il espère me voir répondre. Je me lève et passe doucement devant lui pour me rendre aux toilettes. Il a ainsi tout loisir d'admirer mon corps tout mince et élancé et de commencer à fantasmer dans sa tête. Quand il me voit réapparaitre après ma courte absence, son sourire se fait plus large, plus engageant. Le mien aussi. Je sais qu'à partir de maintenant je peux le cueillir comme une fleur. Je rejoins ma place, et avale mon verre de pamplemousse d'un trait. Pour accentuer ses fantasmes, je retire mon gilet, et il peut alors découvrir mes épaules nues et deviner ma poitrine naissante sous mon débardeur noir. Il m'épluche sans gêne de son regard et je peux l'entendre penser. Il s'imagine me toucher, juste pour vérifier si ma peau est aussi douce qu'elle en a l'air. Je prends mon portable et j'envoie un sms à Sarah qui n'est pas loin. J'écris : « Il est tout à moi, je le mets à mes pieds, on l'achève dans deux semaines ».

J'ai tout un tas de crayon de couleurs devant moi, mais je lui demande un stylo pour provoquer une discussion. Il m'en tend un avec le plus beau sourire dont il soit capable. Il force tellement sur ses gencives que j'ai pitié de lui. Il insiste pour que je lui montre mon dessin, je le lui montre et il sourit encore. Ses sourires commencent à m'agacer mais je ne le montre pas. Je m'efforce de contempler un point imaginaire entre ses sourcils pour effacer son visage de mon esprit. Il n'est pas lui, il est un homme, il est une arme à désamorcer. Je ne sais pas s'il est brun, s'il est blond ou roux. Je ne sais pas s'il est grand, s'il est blanc ou noir. Je sais que derrière sa braguette se cache son sexe. Je sais aussi que quand je le porterais à ma bouche, cet homme ne répondra plus de rien. Le libérant de la perversion qu'il porte en lui pour le punir enfin. Avant il me faudra le ferrer comme un cheval. Il me faudra faire semblant de partager certaines de ses passions. Il me faudra porter des décolletés dans lequel il pourra laisser trainer son regard. Il me faudra lui faire miroiter mon corps des heures, des jours avant qu'il ne puisse le toucher.

Il essaie discrètement de sentir mon odeur. Son nez est à l'affût du moindre effluve venant de mon corps. Quand je vais avec un homme, je mets un parfum de séductrice que je ne porterais jamais autrement. Un parfum aux notes légèrement sucrées que je me force à appliquer dans mon cou, sur mes poignets, entre mes seins et dans mes cheveux. Ce parfum c'est ma marque de fabrique. Les filles ont le leur. Nous avons toutes choisis un parfum différent. Aujourd'hui si je les sens par hasard dans la rue, j'ai tout de suite la nausée. Ca me rappelle l'odeur de la chair sale. De la chair souillée.

La première fois que l'homme peut m'avoir à lui, il choisit une chambre d'hôtel. Une très belle chambre pour m'impressionner. Sauf que je ne vois rien. Il m'aurait emmené dans un taudis ça aurait été exactement pareil. Je passe le seuil de la pièce et je m'extasie artificiellement. Je lance des voyelles à la ronde et l'homme est content. Il se dit, c'est bon elle est à moi. Ce qu'il ne sait pas c'est qu'a ce moment là, je le méprise déjà tellement que j'imagine déjà la pire des façons de l'écraser. Dès que j'entre dans la chambre je sais ce qu'il va se passer. Mon cerveau se met au travail et m'emmène loin d'ici. Je suis en mode automatique. Quand je prends son sexe dans ma bouche, je ne ressens rien. Je n'ai même plus envie de vomir je suis rôdée. Je déteste les pénis plus que tout au monde, mais je peux partager une telle intimité avec. Combien de fois au début, avec les premiers hommes j'ai eu la sensation que j'allais vomir, que j'allais mordre si fort que la queue allait se décrocher ? Je ne sais plus . Mais un jour c'est devenu un automatisme. Serrer les lèvres, recouvrir les dents et faire valser la langue. Je savais très bien faire. De mieux en mieux et j'ai fini par y devenir insensible. J'entends l'homme gémir. Il ne se contrôle plus. J'observe son visage avec dégoût. Il grimace de plaisir et je repense à mes crayons de couleurs, la couleur éloigne ce visage malsain. Je dessine une plage dorée, un ciel bleu clair et une mer vaste. Une mer dans laquelle je m'imagine, je me laisserais porter par les vagues et j'atterrirais loin de tout ça. Loin de ma haine, loin de mes peurs, loin de moi-même.

Parce que voilà à quoi rime mon quotidien. A de la chair dégueulasse qui ne me fait plus rien. Je ne peux même pas dire que je suis insensible. Simplement ma haine est devenue plus grande que mon dégoût. La haine dépose un goût amer sur tout, elle salit tout et surtout moi.

Sarah était persuadée que les femmes étaient le sexe fort mais qu'elles l'avaient oubliés. Elle nous encourageait à devenir plus fortes, plus féroces, plus combatives face à la loi des hommes. Je crois que c'était celle d'entre nous qui avait le moins honte de sa féminité. Léa se bandait les seins lorsqu'elle n'était pas obligée de séduire un homme, Johanna s'enlaidissait aussi beaucoup quand nous faisions nos sorties entre nous. Il n'y a que Sarah qui était fière d'être née femme, elle faisait mine d'avancer la tête haute en attendant le jour où enfin elle serait une vraie femme et qu'elle montrerait à plus grande échelle de quoi elle était capable. En attendant elle était celle qui montrait la détermination la plus barbare dans notre entreprise de punition expéditive. Son mépris pour l'homme était tel qu'elle était capable d'aller très loin pour arriver à ses fins. Elle aimait les voir baver, elle se sentait forte après. Elle fut majeure avant nous, et ses escapades nocturnes avaient finit par pousser sa mère à bout. La seule chose que Sarah respectait encore, c'était nous, notre cercle, notre but. Elle était si douce avec nous. Presque maternelle. Et on la voyait froide et glaciale avec tout le reste du monde extérieur. Elle disait qu'ils n'étaient pas comme nous et que de toute façon ils ne nous comprendraient jamais. Je l'ai toujours admirée par ce qu'elle allait au bout des choses et jamais nous ne l'avons vu se décourager. Peut être qu'elle savait qu'un jour nous en aurions fini avec tout ça. Qu'un jour nous serions à nouveau des jeunes filles avec de vrais sourires. Et même si elle ne le savait pas, elle devait y croire très fort.

Lorsqu'elle revenait de ses fornications, elle nous rejoignait sur notre banc avec un sourire de triomphe. Jamais elle n'avait l'air écœurée. Elle nous souriait et s'asseyait en silence près de nous. Toutes les huit entassées sur un banc. Il n'y avait rien à dire, nos silences parlaient pour nous. Parfois Cathy s'installait sur mes genoux et je sentais dans son dos son cœur vrombir très fort malgré sa respiration très calme. Il me suffisait de poser mes mains sur les siennes pour que son cœur se calme apaisé. Elle n'était pas seule. Aucune de nous ne l'était tant que nous étions ensemble dans la même galère. 

Le ProcèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant