Cathy

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Mon histoire est banale. Tristement commune. Quand Emma est venue me voir pour lancer ce projet, je me demandais ce que j'allais bien pouvoir raconter. Rien de bien original quant à ce qui m'est arrivé. Des parents, un divorce, un beau père. Une porte qui s'ouvre la nuit, un bruit de braguette. Non, rien de bien original malheureusement. Des histoires similaires j'en ai déjà lu tellement. Même dans les films c'est le scenario le plus servi. Tellement banal qu'on pourrait se demander ce qui m'a pris de me lancer comme ça avec les filles. Bah oui, il est normal pour des gamines que leurs beaux pères viennent la nuit les visiter dans leur chambre des fois qu'elles manquent d'amour. Forcément. Rien ne justifie que je sois complètement ravagée de l'intérieur. J'ai juste reçu un extra d'amour en plus étant petite, comme tant d'autres. J'aurais juste dû me taire et avancer. Normal. Comme disait Sarah tout le monde passait son temps à nous dire de faire attention dehors. Sois prudente. Ne t'habille pas de façon provocante. Sois sage. Ecoutes bien maman. Sois une jeune fille respectable. Evidemment le danger c'est dehors. Loin de la famille. Pas sous son toit. Le danger c'est l'inconnu qui est différent de nous, qui ne partage pas nos valeurs. Les valeurs de quoi ? Du secret ? Que se passe t'il la nuit dans vos maisons. Est ce que des portes s'entrebâillent ? Comment avez-vous élevé vos fils ? Que leur avez-vous transmis ? Avez vous aussi dit à vos filles de faire attention dehors et de bien se couvrir ? Pour en revenir à moi et mes choix, je ne peux dire ce qui les a portés. De la colère ? De la haine ? La vengeance ? Tout ça en même temps ? Vraiment, je ne sais pas. Après des mois d'interrogatoires, de témoignages. Voir sa mère dévastée se sentir coupable au-delà de tout entendement. Lui en vouloir injustement. Devenir ingérable. Echouer en thérapie. J'étais secouée dans tout les sens. Vous savez ce que c'est vous de répondre à des questions dérangeantes ? De raconter encore et encore un calvaire qu'on voudrait taire ? Non, ça ne fait pas du bien. J'appelle ça remuer la merde. Et la merde, je peux vous dire qu'ils l'ont remués. Aucun répit. Alors c'est bien beau d'aller en thérapie mais sachez qu'à ce moment-là ce n'était objectivement pas de ça dont j'avais besoin. Comment l'auraient-ils su ? Ecouter des adolescents c'est surfait. Nous n'avons rien d'intéressant à dire, surtout pas sur nos propres souffrances. Laissons les adultes décider, ils en savent tellement plus que nous sur nous-même. A l'heure où j'écris ces mots, le fameux beau-père à refait sa vie. Heureux surement. Au fond de moi je rêve qu'une bande d'adolescentes vengeresses le fasse descendre du piédestal de la petite vie parfaite qu'il s'est créé. Evidemment il est mal vu de souhaiter le malheur d'une personne. Ne m'en voulez pas de ne pas le féliciter. Personne ne me félicite moi de me lever chaque matin et de mettre un pied devant l'autre. Résilience. Eh oui. Je n'ai pas le choix. Donc Emma est venue car elle voulait que l'on raconte notre histoire. Avec le point de vue de chacune. Mon point de vue et qu'il n'y avait pas vraiment de déclencheur. Nous étions des ados. Des ados blessées. Nous avions besoin de nous raccrocher à quelque chose qui ait du sens. Et ça avait du sens. Aussi étrange que cela paraisse. Mais encore une fois c'est tristement banal. Les statistiques le disent. Les personnes victimes d'abus sexuels ont je ne sais combien de fois plus de chances que d'autres de développer des comportements sexuels déviants. Nous n'avons pas fait mentir les statistiques c'est tout. Je me dis que de nos jours nous aurions pu faire pire. L'internet de l'époque et les moyens informatiques n'étaient pas les mêmes. Dieu merci cela nous a freiné. Même si je vous l'accorde nous n'y sommes pas allés de main morte. Je n'y pense pas tous les jours fort heureusement. Cela dit aucune de nous n'a une vie classique et bien rangée. La résilience a ses limites. Ces hommes n'ont plus de visages. Plus de noms. Je ne sais plus où je suis allée, ce que j'ai fait. Tout se confond en une masse de chair difforme. Les souvenirs s'effacent avec le temps. Même les souvenirs de ce qui se passait dans ma chambre. Je tremble encore quand j'entends une porte s'ouvrir lentement. Je pense que ça ne passera jamais. Oui, la seule chose qui me fait encore peur ce sont les grincements de porte. D'ailleurs je vis dans un loft. Coïncidence ? Je ne crois pas.

Le ProcèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant