Léa

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Devant une caméra on joue un rôle. Je crois que j'ai joué devant cet œil froid depuis aussi longtemps que je me souvienne. Chaque nuit dans mes rêves je vois encore cette lentille noire qui m'observe. Qui me fouille et me vole image après image mon innocence. Toute petite j'ai enregistré le son du mécanisme de la caméra qui se déclenche. Ce son métallique et grinçant qui énonçait le début du calvaire. Ce petit bruit qui m'a fait si longtemps prier pour que je devienne sourde. Je m'étonne qu'après avoir passé chacune de mes jeunes années devant un objectif, ce sont ces détails qui me glacent autant le sang.

J'ai rencontré un gendarme, un des premiers d'une longue série qui me regardait d'un air si courroucé, presque dérangé de devoir me poser ces questions et surtout de devoir écouter les réponses, ou l'absence de réponse. J'étais spécialiste dans l'art du mutisme. De toute façon je ne parlais quasiment jamais. A la maison, personne ne m'adressait la parole. Des fois j'étais même étonnée d'entendre ma voix, comme si elle sortait d'ailleurs que de ma bouche. Ce gendarme donc, s'obstinait à allumer et éteindre son dictaphone avec ce petit bruit, cet espèce de cliquetis qui me donnait un haut le cœur douloureux. J'avais envie de le prendre et de lui enfoncer bien profond dans la gorge qu'il sache ce que ça faisait d'avoir un corps étranger profond dans la bouche. Au lieu de me demander de lui décrire des trucs dégueulasse qu'il n'avait même pas envie d'entendre.

Autant vous dire dès maintenant que je n'avais jamais rêvé d'être actrice. Cette fonction on me l'a imposée. Et celle qui un jour m'a délivrée, la voisine, qui pendant des années savait, entendait, espionnait, je ne lui dirais jamais merci. Je ne suis pas ingrate. Mais quelle délivrance que la délation d'une femme en colère ? Parce que mon géniteur lui avait mal parlé une fois, elle a voulu se venger. Je n'appellerais pas donc ça une délivrance. Même si dans un sens on peut le voir ainsi. Cette femme m'a vu, moi, mes sœurs et le cadre immoral dans lequel nous étions « élevées » et après des années, suite à un grief elle s'est dit qu'elle se servirait de ça, pour atteindre mon père.

Quelqu'un est venu. J'ai entendu des phrases toute faites qu'on dit aux enfants dans ce genre de situation. On m'a promis que : « ça ira mieux maintenant, tu verras ». Ça ne va pas mieux. Mes sœurs et moi avons été séparées. Je vis dans une famille qui me voit comme une victime à plein temps. Ils sont payés pour m'avoir, ils me supportent et essaient de me réparer. Je ne suis que l'objectif à atteindre de leur emploi. Je n'ai plus jamais vue ma grand-mère. Quelqu'un est venu m'annoncer sa mort. Peut-être avait elle découvert qui était son fils et ne l'avait elle pas supporté. C'était la seule grande personne que je connaissais capable d'amour. Pourquoi mon père était il devenu réalisateur de films pour adultes avec des enfants acteurs ? Je ne sais pas. Toujours pas. Quand on est venus nous délivrer, j'ai perdu mes sœurs, ma grand-mère et mon foyer aussi tordu soit il. Aujourd'hui, je ne suis même plus moi. Je suis la pauvre Léa. On se tait quand j'entre dans une pièce. On me regarde avec les yeux mouillés. Des fausses larmes pour donner le change. J'avais 12 ans quand ils sont venus. Je crois que j'ai toujours 12 ans au fond. Petite, menue et de fins cheveux blonds qui accentuent la pâleur de ma peau et donne à mes yeux bleus un éclat glacial. Sauf qu'en vrai j'ai 15 ans, j'ai fais une grosse bêtise et je suis devant un autre gendarme. Agacé par mon mutisme. Il essaie de me faire la morale. Je l'entends dire que l'insolence ne mène à rien. Une fois que la mère d'accueil lui aura parlé, il affichera également un air contrit. Il passera quelques coups de fils. Et je finirais condamnée à me rendre à une espèce de thérapie de groupe.


Quand j'ai rencontré les filles, j'avais envie de partir en courant. Participer à cette thérapie était réellement au dessus de mes forces. Forcée, j'ai franchis la porte. Et j'ai croisé leurs regards. Froids et sans chaleurs. En apercevant mon reflet dans une fenêtre j'eu un mouvement de recul. Je voulais reculer encore, fuir. Grandir avec une telle tâche sur l'enfance et se réunir pour en parler. Je me demande encore qui a eu l'idée. En théorie c'est innovateur. Proposer à de jeunes adolescentes complètement dévastées de se réunir pour trouver la force de s'adapter à ce monde vicieux. Avec une trentenaire pleine d'entrain censée nous montrer la voie. Elle a essayé très fort. Mais on souffrait d'un mal qui faisait écho. Je me nourrissais de leur souffrance et elles se nourrissaient de la mienne. Sans nul besoin de confidences. Parce qu'en aucun cas je n'avais envie de raconter ces histoires de tournages glauques de banlieues. Qui avait envie d'entendre ça ? Qui avait envie d'écouter qu'à l'âge de 3 ans déjà je servais d'exutoire sexuel pour des êtres déviants ? Mon enfance n'avait rien d'un conte de fée. J'ai grandis comme ça. Je n'étais même pas en colère avant qu'on vienne me sauver. Je ne connaissais que ça. C'était ma routine. Je fermais les yeux, et voilà je n'étais plus devant la caméra, je jouais avec mes sœurs. Ce sont les gendarmes et les assistantes sociales qui ont rendus mon enfance sale, avec leurs récits, leurs questions, les photos dans les dossiers. Ce sont eux qui m'ont révélés l'atrocité de mon père. Quand j'y étais encore, je pouvais me créer mon monde imaginaire, derrière nos murs cela semblait moins douloureux. Et un jour, à la vue de tous c'est devenu barbare, et moi je suis devenue la pauvre Léa. Celle qui avait subis. Que pensaient t'ils que j'allais répondre du haut de mes 12 ans quand ils m'ont demandés si j'avais dis non ou si j'avais demandé de l'aide ? Cela faisait il de moi une coupable ? Parce que je n'ai pas crié, jamais. Non, j'ai laissé faire. Oui, j'ai laissé faire.

Toutes nous avions laissez faire. Et cette satané question : « Avez vous dis non ? » sonne comme un jugement.

Nousavions décidé alors de dire non. De ne plus laisser faire. De nous battre

Le ProcèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant