Chapitre 18

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Le slow passa comme un instant ou comme une éternité.

Jamais Kageyama ne détourna ses yeux du visage d'Oikawa, pas plus que ne le fit celui-ci, pris dans leur bulle de fascination réciproque, camouflant la brutalité de leur attirance derrière une tendresse autorisée. Plus rien n'existait autour d'eux. Il n'y avait plus de temps, plus de lieu, il n'y avait plus personne pour les voir, plus rien qui importe. Leur seul repère était le lien, qui palpitait au même rythme que les battements conjoints de leurs cœurs.

Les sensations étaient tellement intenses qu'elles en devenaient floues, et Tobio ne voyait rien d'autre que Tooru, ses yeux, ses lèvres, ne sentait rien d'autre que ses mains sur son corps. Le lien était en ébullition, leurs sentiments mutuels réverbérés de l'un à l'autre au point d'être indissociables et dominés par une joie frémissante, celle des premiers amours ou des interdits franchis. Leurs pas s'accordaient naturellement dans une coordination parfaite, comme si le seul regard suffisait à établir une harmonie totale entre leurs psychés et leurs corps.

Tobio ne savait pas depuis combien de temps ils dansaient –dansaient-ils, ou restaient-ils figés sur place dans une semi étreinte, les doigts entrelacés ? Peu importait. Il aurait voulu que ça ne s'arrête jamais.

-Merci, murmura pourtant Oikawa quand la musique s'arrêta.

Le lien leur fit mal à tous les deux quand ils se lâchèrent. Il sembla à Tobio que sa main était froide et que sa taille était vide –mais son esprit s'éclaircissait, sa conscience reprenait le dessus, et en même temps apparaissaient le regret et la culpabilité ; tout le monde avait dû les voir, les gens devaient bavarder, que dirait Nico ? Oikawa n'était pas n'importe qui, Tobio avait voulu garder la distance, et voilà qu'en quelques secondes il lui était tombé dans les bras comme si plus rien d'autre ne comptait. Il adressa un rapide signe de tête doublé d'un sourire à Tooru, puis se hâta de rejoindre sa table alors que la musique changeait de nouveau, reprenait ses accords dynamiques pour déchaîner la foule, et Kageyama espéra que ce moment d'égarement se dissipe dans la chaleur de la soirée.

Nicolas ne revint pas à la table, et Tobio s'y retrouva de nouveau seul avec Kenma, échangeant quelques mots à l'occasion, souvent profitant d'une tierce présence –Lev, Akaashi, Yachi- pour étoffer leur discussions ; mais les pensées de Kageyama revenaient toujours au slow, à ce moment qu'il avait partagé avec son âme sœur et qu'il avait apprécié au-delà de toute mesure. Etait-ce une erreur ou une bénédiction ? Les deux à la fois, peut-être ? Il ne savait plus ce qu'il ressentait. Et savoir qu'Oikawa pouvait percevoir son trouble suscitait encore davantage de confusion sur ses propres sentiments.

Miya Atsumu fit un bref passage à sa table pour lui demander s'il ne changeait pas d'avis sur la boisson, et Tobio admirait son obstination ; et pour le coup, il était presque tenté, mais ce n'était pas le moment de faire plus de bêtises, et il refusa –seulement pour apercevoir le même Atsumu un peu plus tard derrière une table en bord de piste (de toute évidence un bar improvisé pour désaltérer les danseurs) lui adresser un pouce levé. Les suspicions de Tobio étaient déjà hautes, mais le lien confirma rapidement qu'Oikawa était la nouvelle cible privilégiée de son coéquipier, et il ne doutait pas que Romero soit aussi de la partie.

Son copain, son âme sœur. Les deux hommes de sa vie. Et en leur accordant chacun une danse ce soir-là, il les avait inconsciemment mis sur un pied d'égalité, menaçant de nouveau la balance de ses relations.

-Ils n'ont pas encore fini leur show ? renifla Tsukishima en reprenant place à côté de lui.

-Hein ?

-Les deux idiots là-bas.

Kageyama n'eut pas besoin de demander de qui il parlait.

-Ils dansent encore ? demanda Tobio d'un air désinvolte, même s'il était au fond impressionné de leur persévérance.

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