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Il n'y a que l'ennui pour me faire sentir si petite dans une salle comme ça. Je ne saurais pas dire combien de fois j'ai dit à Ann que je n'avais pas envie de venir participer à cette soirée. Je sais que c'est très important pour elle, mais intérieurement, je ne me sens pas à ma place. À notre table, il y a une femme accompagnée d'un homme qui visiblement semble être son conjoint. Malgré de grands cernes sous ses yeux, cet homme est serein et souriant. Chaque fois que sa femme penche son doux visage entouré d'une magnifique tignasse blonde vers lui pour lui chuchoter quelque chose dans l'oreille, il a un magnifique sourire qui remonte jusqu'à ses yeux, créant de petites pattes d'oie.

- Tu m'écoutes quand je te parle ?

Je sursaute et me retourne vers Ann. Ses sourcils sont légèrement froncés pendant qu'elle me fixe en attendant que je lui réponde.

- Non, j'étais ailleurs. Qu'est-ce que tu disais ?

- Je te disais qu'ils vont mettre de la musique et que j'ai quelqu'un à aller voir. Ça ne devrait pas être long...

- Ann... ? dis-je en soupirant. Rassure-moi que ce n'est pas ce que je crois...

Elle lève les yeux au ciel avant de me regarder de nouveau. Je devrais avoir plus confiance en elle. Anna a tellement fait d'effort depuis plusieurs mois.

- D'accord ! Je vais t'attendre ici, mais ne traîne pas. Je te signale que j'ai faim !

Anna sourit puis pousse son bol de salade de fruits vers moi.

- Tiens, pour te sustenter en attendant que je revienne, répond-elle avant de se lever.

Je croise mes bras contre ma poitrine et j'expire fortement. La musique se met à jouer et les couples à ma table me délaissent pour aller danser. En les regardant marcher main dans la main, ça me chagrine presque de ne pas avoir cette chance. Pourquoi ne suis-je pas ce genre de femme qui tombe naïvement amoureuse d'un homme, qui vit heureuse, tombe enceinte et se marie ? J'envie leurs sourires et la façon qu'il la prend délicatement pour la faire balancer au rythme de la musique. Je détourne les yeux farouchement et regarde ailleurs. La plupart des tables sont vides, beaucoup se sont levés pour aller danser. Mon regard stoppe sur un homme seul. Sa présence, si distante, est plus imposante qu'un déluge dans cette grande pièce. Il est à au moins dix mètres de ma table, mais ses yeux m'emprisonnent. Cet homme glisse son index sur ses lèvres en m'admirant, magnétisant l'air autour de moi. Ses cheveux noirs en bataille, ce regard profond et même sa façon d'être assis nonchalamment sur la chaise me perturbent. Je sens aux creux de mon ventre, une sensation que je n'ai pas ressentie depuis longtemps. Cette sensation de chaleur, d'excitation et d'interdit qui me titille le bas ventre. Peut-être que c'est le dîner. Peut-être que je ne digère simplement pas le bol de fruit que j'ai mangé si rapidement parce que j'avais terriblement faim. Une chose est sûre et certaine, j'aimerais toujours avoir cette sensation exquise qui m'anime comme un feu ardant. Qu'est-ce que je dois faire maintenant ? Je devrais arrêter de le regarder comme ça, comme une imbécile, mais j'en suis incapable. Il me captive complètement.Lorsque le couple passe entre nous, je cligne rapidement des yeux avant de les baisser pour regarder le bol de fruit qu'Anna m'a tendu. Le champ magnétique de cet homme a été rompu et pourtant mon cœur palpite toujours, faisant frissonner ma peau jusqu'à mon cou. Je respire profondément en fixant bien le rouge des cerises à travers les autres fruits qui reste. Quand mon cœur ralentit enfin, je soupire fortement et relève les yeux pour le regarder de nouveau. Il n'est plus à sa place. Mon regard cherche frénétiquement autour de moi sans le voir nulle part. Malgré moi, je ne peux réprimer une déception aiguë qui parcourt mon corps tout entier. L'ennui me regagne rapidement. C'est avec un soupir de défaite que je me lève en jetant ma serviette de papier sur la table pour aller me rafraîchir dans la salle de bain. En entrant, une odeur de nettoyant pour cuvette me pique les yeux. Les murs à carreaux sont sales et le plancher est légèrement collant ce qui me confirme que cette salle de bain n'est sûrement pas dans les priorités du nettoyage. Dans le miroir devant moi, je fixe cette femme rêveuse et blanchâtre qui me regarde de ses grands yeux gris. Mes mains sont glacées, mais je n'ai curieusement pas froid. J'inspire profondément malgré l'odeur chimique pour essayer de calmer mon esprit embrumé. Repoussant mes longs cheveux noirs vers l'arrière, je les maintiens pour analyser ma gorge roussie par la gêne et l'émotion que je viens de vivre. Je repense à ce regard profond et ma main descend contre mon ventre pour essayer inconsciemment de calmer mon abdomen qui papillonne.

IndécenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant