Se libérer par le cri

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Les jambes de Sean tremblaient. Il se sentait sur le point de s'évanouir et pourtant ce n'était ni le lieu, ni le moment de se laisser aller à un instant de faiblesse. Un vent violent lui fouettait les joues et faisait pleurer ses yeux. Il enfila ses lunettes de vol, les mains moites.

Vue d'ici, la ville de Yonkers s'offrait à son regard, étalée à ses pieds quelques centaines de mètres en contrebas. Le vertige lui étreignait la poitrine. Depuis le gratte-ciel où il se tenait posté, il pouvait voir la cité qui s'agitait, l'Hudson et ses bateaux promenant des touristes émerveillés, le parc de Wave Hill et ses hêtres enluminés de leur dorure automnale.

Sean inspira profondément l'air froid qui lui glaça les poumons. D'ici, il pouvait même deviner l'institut Xavier, niché dans son écrin de verdure au Nord du quartier.

Le Professeur X avait-il déjà remarqué sa disparition ? Les autres étaient-ils déjà à sa recherche, se rapprochaient-ils ?

Il n'avait pas de temps à perdre : il fallait agir maintenant.

Il plia et déplia ses doigts engourdis par le froid. Heureusement, la combinaison de vol conçue par Hank le protégeait en bonne partie de la morsure du vent. C'était le moment décisif.

Sauter.

Et pourtant, il était comme paralysé sur place. Se tenir ici était le fruit d'une longue réflexion, sur sa vie, sur sa place au sein des X-men. Il devait sauter. Pour les autres, pour lui-même.

S'il réussissait, s'il s'envolait grâce à la puissance sonique de ses hurlements, alors sa vie cesserait d'être une longue succession d'échecs et de peines. S'il échouait, alors il embrasserait le sol trente étages plus bas, et la douleur disparaîtrait tout de même. Définitivement.

Gagnant-gagnant.

Une sensation fugace s'empara de lui. Le souvenir du visage de sa mère, tiraillé entre la culpabilité et le soulagement. Et Sean se revoyait, observant le Professeur Xavier qui lui souriait dans la cuisine en lui expliquant qu'il allait l'emmener dans un endroit où d'autres jeunes comme lui apprenaient à vivre avec leur malédiction. Sa mère, épuisée, l'avait à peine serré dans ses bras. Et comment lui en vouloir ? Comment vivre avec un adolescent qui enchaînait les renvois du lycée ? Qui cassait les vitres de la maison à chaque crise de colère ? Qui réveillait les voisins en hurlant la nuit dans son sommeil ?

Mais même si Sean comprenait le soulagement de sa mère, cela ne l'avait pas empêché d'en souffrir.

Il était temps d'être autre chose qu'un poids mort. Pour sa famille, et pour l'équipe des X-men.

Crier pour assourdir les adversaires c'était un début. Mais voler à l'aide des ondes soniques... Ça, ce serait décisif. Il pourrait sauver des vies avec ce talent. Il pourrait se sentir utile. Important. Partie d'un tout. Pourtant, il avait beau s'entraîner depuis des semaines à l'institut, il était incapable de maîtriser ses hurlements suffisamment pour voler dans l'aire d'entraînement prévue à cet effet.

Alors, il avait eu une idée. Tester directement grandeur nature. Jouer le tout pour le tout. Ne pas s'élancer de trois mètres vers une pile de tapis, mais depuis le haut d'un gratte-ciel, sans filin pour l'assurer.

Et il fallait le faire maintenant, avant que ses amis et ses professeurs ne tentent de l'en empêcher. D'ailleurs... Deux silhouettes empressées venaient de s'extraire d'une large voiture blindée, loin en bas.

Sean se concentra pour calmer les battements de son cœur. C'était maintenant.

Il n'avait qu'un pas à faire...

Il le fit.

La sensation vertigineuse le percuta, vida l'air de ses poumons et l'envahit tout entier. Le sol se rapprochait à une vitesse phénoménale et il gardait les yeux bien ouverts, assourdi par le vent, l'estomac sens dessus dessous. L'air bloqué dans sa gorge ne voulait pas sortir, et, pendant une fraction de seconde, il se vit mort, éparpillé sur le bitume aux pieds de ses amis.

Alors, pour la première fois de sa vie, il se sentit libre.

C'était comme si les angoisses, les remords, les souffrances et la solitude venaient de sauter avec lui. Un poids qu'il ne se savait pas porter quitta ses épaules, décomprima sa cage thoracique. L'air circula de nouveau librement en lui, lui rappelant à quel point il était bon d'être vivant.

Et il cria.

Mais aucune vitre n'explosa, aucun son n'assourdit les passants dans les ruelles. La fréquence était si forte, si pure, si naturelle...

La combinaison dont il était vêtu absorba la puissance de son don et il se sentit revivre, sa trajectoire se stabilisant et s'adoucissant, l'éloignant d'un choc mortel contre le trottoir. Il frôla plusieurs bâtiments, grisé, une envie de rire incontrôlable l'envahissant. Alors qu'il devinait la silhouette de Raven et du Professeur Xavier loin devant, il parvint à moduler le cri. Sean ralentit sa course et s'approcha du sol, jusqu'à pouvoir discerner les sourires et les applaudissements qui lui étaient destinés.

L'atterrissage le secoua et il s'écrasa à moitié dans les bras de Raven. Il vit l'hésitation sur le visage du Professeur X. Le réprimander, d'avoir ainsi stupidement mis sa vie en danger ou le féliciter d'avoir brillement réussi à maîtriser sa mutation ? Raven trancha. Elle le serra dans ses bras et lui frotta le sommet du crâne de son poing, le faisant grimacer et rire.

- Bravo, Banshee.

- Banshee ?

- Ben quoi, ça te va bien non ?

Sean regarda le toit du gratte-ciel d'où il s'était élancé. Il lui paraissait si haut... L'instant était irréel et il ne parvenait pas à assimiler ce qu'il venait de vivre. Le sourire de Raven l'éblouit et apaisa les battements erratiques de son cœur.

- Banshee, répéta-t-il, et le son sonna agréablement contre son palais. Va pour Banshee, alors.

***

Writober 2020 - MARVEL EDITIONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant