Fille de pluie

22 * Quatre

Zachary

Assoupie contre moi, son dos nu bouge au gré de ses respirations. Ses cheveux bruns étalés sur mon bras glissent légèrement. Serrés l'un contre l'autre sur son canapé, nous sommes recouverts de son plaid vert. Deux yeux m'observent avec curiosité et ils n'appartiennent pas à Agathe.

Saphir me fixe, avec méfiance. Dès la première fois où j'ai passé le pas de la porte, ce chat n'a eu de cesse de me tourner autour, ne sachant s'il pouvait me faire confiance. Peu à peu, il a arrêté de s'enfuir dans la salle de bain. Parfois, il accepte de s'installer à mes côtés pendant que sa maîtresse est occupée. De sa démarche féline, il s'approche. Ses pattes marchent sur nos vêtements qui jonchent le sol, jusqu'à s'arrêter à côté de moi.

Un de mes bras tient fermement une Agathe endormie contre mon torse. L'autre se tend pour le caresser. Ronronnant, il paraît avoir baissé les armes. Comme elle.

Bordel, la fille au foulard bleu est amoureuse de moi.

Qui l'aurait cru ?

Depuis cet été, j'ai du mal à réaliser tout ce qu'il se passe dans ma vie. Durant l'annonce de ses sentiments, j'ai cru que mon cœur allait se détacher de ma poitrine. Il battait si fort que même les voisins ont dû l'entendre. La belle brune, face à moi, sous la pluie, me déclare son amour. La situation peut paraître très clichée. Seulement, elle est lourde de sens pour nous deux.

Fermons nos parenthèses et mettons une majuscule à notre histoire.

Qu'aurais-je pu rêver de mieux ?

Saphir s'éloigne et saute sur le fauteuil voisin, nous surveillant. Agathe est parvenue à vaincre les barrières qu'elle avait érigées entre nous, au moins en partie. Ses doigts pianotent doucement sur ma peau, elle se réveille. À travers la fenêtre, la nuit commence à tomber. La pluie a laissé place à un soleil rose, presque rouge. En cet instant, je me sens si léger que je ne laisse aucun doute entraver mon état d'esprit.

— Tu es une meilleure bouillotte que mon chat, murmure soudainement la brune, sortant de ses songes.

— Ne le dis pas trop fort, il risque de l'entendre et de se venger sur moi.

Elle s'esclaffe, sortant son beau visage ensommeillé de mon épaule. Et putain (pardonnez ma vulgarité), mais le regard qu'elle pose sur moi vaut tout l'or du monde. Ses prunelles brillantes, son sourire qui s'y reflète. J'ai l'impression d'être le meilleur homme de la Terre. Presque timidement, je cueille un baiser sur ses lèvres que j'ai tant embrassées plus tôt.

— Il t'aime bien, assure-t-elle. Les quelques garçons qui sont venus ici ont tous retrouvés leurs lacets en morceaux.

Les miens sont intacts, alors tant pis pour le pic de jalousie qui me transperce le cœur. Mollement, elle s'assoit, s'appuyant sur le dossier du canapé. Un bras plié sous ma tête, je flatte l'épiderme de son dos.

— Il ne pleut plus, remarque-t-elle à voix basse.

Je reste silencieux. Même si je m'en doute, elle ne m'a jamais expliqué précisément le sens qu'elle donnait à cette météo. Finalement, elle s'allonge à nouveau tout contre moi, observant le plafond.

— Lorsque je suis sortie de la maison en flamme, il s'est mis à pleuvoir. Et ça a duré pendant huit jours. Les pompiers se sont d'abord occupés de mon petit frère. Alors je suis restée là, à m'inonder du ciel, effaçant toutes les cendres de mes vêtements et de mes cheveux. Ça a probablement duré très peu de temps. Mais, j'avais si froid. J'aurais pu me mettre à l'abri. Seulement, cette humidité me raccrochait un minimum à la réalité. Au loin, j'ai entendu un cri me fendre l'âme : mon père venait d'apprendre le décès de ma mère. Mes frères étaient pris en charge dans les véhicules des secours. Papa hurlait à la mort. Et moi, je restais sous ce déluge qui semblait prendre soin de mes brûlures. En baissant les yeux, j'ai remarqué que mes vêtements étaient troués par les flammes. J'attendais encore, dans une bulle de coton. Au fond, je savais que ma maison disparaissait derrière moi. Je crois que sans cette pluie, je me serais effondrée et plus jamais relevée.