Fille de pluie

20 * Ne pleure plus

Zachary

Son nez aquilin se retrousse lorsque nous nous retrouvons à l'extérieur. Le froid semble la surprendre, elle s'enfouit dans sa grande écharpe en laine.

Nous avons passé tant de temps dans ce café que la serveuse a dû nous congédier pour fermer. Pour autant, j'ai l'impression d'être resté cinq petites minutes. Manifestement, Agathe a eu le loisir de réfléchir durant ces plusieurs mois de silence. C'est comme si elle avait déjà pris sa décision avant même que j'ouvre la bouche. Ce moment où elle s'est blottie contre moi restera à jamais gravé dans ma mémoire. Cet instant où quelqu'un m'a cru, a eu un tant soit peu de compassion et a accepté de me laisser une place dans sa vie. J'ai beau avoir eu quelques histoires avec d'autres filles, aucune n'égalait celle-ci. Elles aimaient bien mes yeux et l'idée que j'ai séjourné en prison. Puis mon rapport aux émotions et ma façon d'être à la vie ne collaient pas à l'image qu'elles avaient d'un homme, un vrai. Je ne suis pas celui qui se battra à mains nues pour marquer son territoire, ni celui qui cherchera à se faire remarquer ou à crier dans la rue pour être respecté. Je me fiche de tout ça. Qu'elles me l'aient si souvent reproché m'a toujours dérangé. Parce que je donnais beaucoup, émotionnellement parlant. Mais ce n'était pas ce qu'elles souhaitaient alors elles partaient. Et je me retrouvais seul avec ça sur le cœur. Qu'étais-je censé faire ? Me remettre en question, encore ? Alors que j'avais uniquement été moi-même, authentique et sincère.

Agathe me connaît et a conscience de mon caractère. À présent, elle sait ce qui nous relie. Pendant mon discours, elle paraissait plus outrée par le comportement d'Ezequiel à mon égard que par la situation en elle-même. Peut-être est-elle parvenue à faire son deuil ? Je ne lui ai jamais posé la question. Évidemment, je garde à l'esprit que cette sordide étincelle a tout de même fait d'énormes dégâts dans sa vie, comme dans la mienne. Un bout de flamme et tout prend feu.

Ses bottines noires martèlent le sol à une cadence régulière jusqu'à s'immobiliser devant un feu rouge. Une distance étrange s'est instaurée entre nous et j'en connais parfaitement la raison. J'espère simplement qu'elle se dissipera avec le temps, le seul remède efficace.

— Tu as toujours le van ? s'enquiert-elle, posant son regard noisette sur moi.

— Oui, c'est ma maison à plein temps.

— Tu es garé loin ? On peut y aller ?

J'acquiesce, la guidant jusqu'au parking où se trouve mon véhicule. La brune a l'air enthousiaste de le retrouver et grimpe dedans avec un petit sourire. Nous discutons tranquillement pendant que je prépare du thé. J'aime qu'elle reste naturelle, qu'elle ne cherche pas à changer.

Subitement, une sonnerie nous interrompt : mon téléphone. Sous son regard curieux, je l'extirpe de ma poche, fronce les sourcils et refuse l'appel.

— Mon frère, marmonné-je, agacé.

Depuis notre conversation, il tente de reprendre contact avec moi. Seulement, je ne réponds jamais. Tout est trop frais et il est le dernier problème que je souhaite résoudre pour l'instant. L'expression froide d'Agathe me le confirme. Bras croisés, visage fermé, épaules tendues, elle se détourne sur l'extérieur. Nerveux, je m'installe face à elle, posant la théière sur la table. Je refuse que mon cadet m'éloigne encore d'elle, il en a suffisamment fait ainsi.

— Je ne lui parle plus, il est allé beaucoup trop loin, annoncé-je, tendant une main vers elle.

Elle la fixe durant quelques secondes, si bien que je m'apprêtais à la retirer lorsqu'elle pose ses doigts sur les miens avec hésitation.

J'ai encaissé toutes les responsabilités de mon petit frère. Comment aborder le sujet avec mon père sans que ça me retombe dessus ? J'en ai conscience, il a une préférence pour Ezequiel et si je coupe les ponts avec lui, il ne me le pardonnera pas. Chamboulé, je lâche un long soupir. Agathe ne sait pas comment réagir : sa position paraît délicate.