14 * Ezequiel

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Zachary

Mes sentiments se sont exprimés naturellement. En réalité, après l'étreinte que nous avions partagée dans cette tente, je ne pouvais plus faire marche arrière. Lorsque je me suis réveillé et qu'Agathe ne se trouvait pas à mes côtés, j'ai paniqué. J'ai pensé qu'elle avait pris peur et qu'elle ne me laisserait plus l'approcher. Alors, quand je l'ai vue pensive sur ce rocher, j'ai compris que je ne pouvais plus lui cacher la nature de mes émotions. Empli d'appréhension, mon cœur a parlé à la place de ma tête et, passé le moment d'incompréhension, elle a plutôt bien réagi. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle me réponde immédiatement. Pourtant, elle m'a partagé la naissance de sentiments chez elle. Rien que cela a suffi à me combler. Elle m'offre tellement plus que ce que j'espérais, sans le vouloir. À présent, je me sens libéré. Ou presque.

Je sais qu'elle ne capte pas de réseau et qu'elle n'a plus de batterie sur son téléphone. La brune a accepté de rester un jour de plus ici. Du coup, il me reste vingt-quatre heures pour trouver comment désamorcer le problème. Seulement, au fond de moi, je ne pense pas y parvenir. Mes émotions ont été enfermées pendant dix longues années. Maintenant qu'elles ont été exprimées, j'ai besoin de les laisser vivre et de profiter ce qu'elle m'offre, égoïstement. Cette discussion peut attendre encore un peu. Peut-être que Margot non plus ne se souvient pas de moi après tout.

Actuellement, Agathe se baigne tranquillement dans la rivière pendant que je reste au bord, les pieds plongés dans l'eau. J'aimerais que le passé s'efface et me laisse vivre mon présent sereinement. Pouvoir envisager le futur sans embûches. Seulement, la vie en a décidé autrement.

Ma binôme de voyage s'approche de moi, s'accoudant à la pierre voisine. Encore entièrement dans l'eau, elle m'observe entre ses cils, les cheveux mouillés collant son front. Je sais qu'elle se pose une infinité de questions et elle m'interroge progressivement. Pour l'instant, je n'ai pas pris trop de risques sur mes réponses.

— Tu dis que je suis la seule. Pardon, je vais me montrer maladroite, mais, et ta mère ?

Je tressaille à l'entente de ces mots. Même s'ils me blessent, je ne peux pas lui en vouloir. Au contraire, elle cherche à en apprendre plus sur moi, je devrais être content.

— Elle est partie à la naissance de mon frère, j'avais trois ans, annoncé-je à brûle-pourpoint.

— Oh, pardon, balbutie-t-elle en se redressant.

— Tu ne pouvais pas le deviner...

Sentant son désarroi, je lui souris simplement. Même si je joue avec le feu, j'ai envie qu'elle apprenne à me connaître réellement. Qu'elle en sache plus sur Zachary. Je passerai juste quelques années sous silence.

— Elle a toujours aimé la fête donc, avoir deux enfants la bridait dans sa vie délurée. Je n'ai pas de souvenirs d'elle, juste quelques photos.

Agathe me fixe, la bouche entrouverte, comme si elle buvait mes paroles. Les mouvements de l'eau remuent lentement mes jambes tandis que je continue.

— Mon père s'est retrouvé seul avec deux fils sur les bras. Il avait du mal à joindre les deux bouts, le quotidien n'était pas simple. Pourtant, il a toujours été là pour nous et nous étions très soudés. Aujourd'hui, mes choix l'ont déçu donc, il ne communique plus vraiment avec moi. Ça me blesse mais c'est comme ça.

En silence, elle s'approche et tire sur mes genoux, m'incitant à la rejoindre. M'enfonçant dans la rivière, je m'exécute. Elle n'a toujours pas prononcé un seul mot, continuant de m'observer intensément.

À cet instant précis, je me rends compte que mon histoire fait écho à la sienne. Nous avons perdu notre figure maternelle de manière différente mais cela a impacté notre façon de nous construire. Au vu de son émotion, elle semble en prendre conscience également. Ses doigts s'agrippent à mes épaules tandis qu'elle me demande silencieusement de continuer.

Fille de pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant