Martin pêcheur

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Sur le long arc de sable coralien nous surfions dans les vagues sans besoin de planche. Nos frêles petits corps valdinguaient dans les flots en furie. La sensation d'être du linge sale dans le tambour d'une lessiveuse était des plus grisante, au fil des vagues la pratique avait vite évoluée. J'avais acheté un matelas gonflable qui souffrait et m'envoyait parfois valser lorsque les vagues se brisaient. Puis à la fin nous avions convenu qu'une planche de bodyboard ferait plus dans l'air du temps(un brin de modernité ne ferait pas de mal). Sur cette anse du bout du monde ce n'était pas tant une question de mode, il n'y avait quasiment que nous et deux trois touristes. Parfois une européenne prenait le mordant du soleil sur ses seins nues. D'autres fois des chevaux se roulaient dans le sable et d'autres encore des zébus qui descendaient de leurs prés venaient se baigner en troupeau. Jamais tout à la fois. Avec Elie-Orel nous accompagnions papy jusqu'à son rocher, nous y perdions un côté de sandale, y ramassions une ou deux conques de lambi, mais pour le reste de la journée le seul but était de finir lessivés par les vagues, exfoliés par le sable, vivifiés par le jus d'algues de certains coins de la plage que nous tentions d'éviter; parfois nous arrivions sur la plage et elle était moins belle, pas moins majestueuse, juste moins belle à cause de l'arrivée de banc de sargasses. Les algues noires s'échouaient et se décomposaient en produisant une odeur pestilencielle de souffre. Ce n'était pas encore l'époque ou cela inquiétait. Cela condamnait simplement un coin de la plage qui restaient assez longue pour profiter de son beau milieu azur.

Les frégates finissaient toujours par apparaître et c'était reparti pour le même débat:

"Hey regarde! Des martins pécheurs!

—Des frégates plutôt... Non?

—Mais non, les frégates c'est pas celles là. Ça c'est des martins pécheurs, ils pêchent le poisson au large en plongeant comme des flèches.

—Oui c'est ce que font les martins pêcheurs, mais les frégates aussi! C'est pas ça des martins pécheurs!

—On parie combien?

—Je te parie tout ce que tu veux! Il suffit d'ouvrir une encyclopédie à "frégate"!

—Tu es trop têtu, tu veux toujours avoir raison!

—Je ne veux pas avoir raison, j'ai raison! Bref... Tu veux pas aller voir de l'autre côté?

—Si si! Allons! Peut-être que tu as raison, ce sont des frégates, je crois que les martins pêcheurs sont un peu différents.

—J'aurai du parier 100 balles!

Nous marchions tout le long de la plage en découvrant de nouveaux animaux et en tentant de leur trouver un nom.

—Hey, un anolie zébré! Regarde ça? T'en as déjà vu?

—Non, il sont verts ou bleuté normalement, mais celui-ci a du prendre un coup de soleil.

—Et puis l'air de la mer peut-être? Interrogions-nous comme des zoologistes afin d'interpréter les variations génétiques des espèces locales.

Nous nous engagions sur la trace des caps entre rochers coupants, cactus et autres épineux sous le regard d'un ou deux bovidés à bosse. Les mornes paraissaient inexplorés, pas un être humain, pas une maison si ce n'est la petite chapelle de 4 mètres carrés, endroit ou quelques fidèles laissaient des fleurs et des bougies devant des idoles chrétiennes;  quelques rituels païens y laissaient aussi leurs traces. Orel et moi avions conclus que certains venaient aussi faire du "tchinbwa" pour envouter la femme qu'ils désiraient et ensorceler l'homme qui les empêchaient.

Le chant de la mer et l'implacable soleil enivraient, c'était une petite traversée du désert sur la côté séchée par le sel. Puis enfin nous arrivions à l'anse d'après: Anse Grosses Roches. Elle s'étalait en contrebas, plus insolente que la précédente, turquoise et blanche, parsemée de quelques algues, parfois abordée par une embarcation fluo, parcourue par deux trois cavaliers, ou squattée par des zébus mais le plus souvent totalement déserte. Nous nous rendions déjà compte du privilège.

FrégateOù les histoires vivent. Découvrez maintenant