Les vacances s'étiolaient en même temps que les cirrus qui brossaient un ciel de traine typique de l'hivernage, la saison des premiers ouragans s'annonçait ainsi. Au fond de ma trousse offerte par tatie Mireille s'étaient empilés quelques stylos et crayons récoltés ça et là de maisons en maisons. Francia m'avait offert des feutres de la Galleria, mamie m'avait trouvé des vieilles gouaches sèches qui avec un peu de crachat faisaient bien l'affaire pour mes esquisses. Papy m'avait dégoté un taille crayon et une gomme qui s'émiettait sur la table du salon. A la fin des vacances ces outils (prolongement de mon oeil curieux) avaient contribué à affiner mon trait de dessin autant que mes sens, c'était le présage d'une production qui resterait fertile pour quelques temps encore. La plupart des choses que j'avais relevé ne m'intriguaient pas tant, j'aimais juste les saisir sur papier pour mettre à l'épreuve ma dextérité et mon sens de l'observation et figer ma mémoire, était-ce vraiment de la créativité? J'assistais à une réalité brute et comme pour la plupart des enfants je l'assimilais sans difficultés. A cette âge, on ne supposait pas tellement que les choses puissent être différentes de ce qui se présentait là. Enfin, on pouvait toujours entrevoir son futur. Les enfants ambitieux s'imaginaient déjà pilotes d'avion, ou policiers. Pour les plus ambitieux encore, ils affirmaient avec assurance qu'il deviendraient astronautes. C'étaient les mêmes rêves de petits garçons que dans mille autres contrées. Certains y arriveraient c'est sûr car ils croissaient d'emblée sur un terreau propice. Ici, on ne s'interrogeait guère sur la ressource car elle nous paraissait illimitée. On mangeait, dansait, on parcourait routes et sentiers, par mer, par terre et air. On rencontrait, on éprouvait, on apprenait de chacun et chaque chose chaque jour. On croisait la mort, parfois on la reniflait à plein nez lorsqu'un manicou, un crapaud Lade ou autre bête mourait écrasée sur la chemin. En même temps qu'à la douceur de la vie on n'échappait pas à son implacable rigueur. C'est ce qui lui donnait son sens.
Les premières années sur cette terre sont déterminantes dans la formation de la personnalité et des croyances. A sept ans, je ne tenais pas la boussole, mais je suivais le cap. Peut-être était-ce un privilège d'être guidé en ce bas monde. J'appris que ça n'éviterait en rien les écueils et bien au contraire. A force de m'être butter contre le relief, mes gros orteils étaient épluchés par le béton défoncé de la court. Déjà je ne pleurais plus pour ce type de bobos. Mon frêle corps forgé par le bitume, griffé par les ronces, par les bêtes à pattes et à ailes, bousculé par mes cousins et cousines, oncles et tantes s'était fait. Je ne m'en plaignais nullement, à vrai dire je n'avais pas tant souffert. Chaque chose m'avait un peu écorché en même temps que poli. Concernant l'épanouissement de l'âme, tout était suffisamment grandiose sur la terre des hommes pour que je n'ai pas à me soucier de ce qui se passait là haut chez les dieux. Je ne croyais pas en l'existence d'un grand barbu dans le ciel et rien que cette idée n'était jamais évoquée par ici. Quoique, le père Noël pouvait encore un peu exercer sans que cela ne heurte. Nous naviguions dans des pans de mythologie du monde entier sans en dédaigner aucun.
Vers 14h, après avoir écouté la chronique mortuaire rien que pour se délecter de Sarabande de Haendel qui faisait office de générique, papy su qu'il n'était convoqué à aucune veillée. Il fut temps d'entamer la longue route littorale du Nord-Caraïbes. Elle déroulait les plus impressionnants des panoramas. Au bout, papy devait y retrouver un ami Médecin qui était d'accord pour lui prêter un Zodiac afin qu'il s'adonne à l'une de ses activités préférées.
Au large, le bleu huileux de la mer faisait un miroir déformant sur lequel se réverbérait le blanc éclatant de quelques moutons nuageux. Les masses vaporeuses semblaient vouloir faire la course avec la 304. Tout comme ce petit canot de pêcheur qui ne s'était pas débiné depuis Bellefontaine. On perdit le bolide aquatique au détours d'un virage au dessus des hautes falaises du Carbet. Sûrement se trouva-t-il une petite crique secrète là en bas, où le commun des mortels n'accédait pas. A Ouanakaera beaucoup d'endroits ne se méritaient que par la mer. En voiture on avait guère accès qu'à un 1/5 de la côte. Le vieil homme au visage buriné par les années et le vent marin conduisait le coude dehors, ajoutant des ailes à la Peugeot, à la manière d'un volatile il pivotait de la tête pour ne rien manquer. Il klaxonnait et levait le bras pour saluer ses amis de la route et le reste du temps lorsque la vue s'ouvrait sur une baie; il projetait son regard sur l'horizon pour veiller au grain.
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Frégate
AdventureUne fois la bougie de l'insouciance soufflée sur le gâteau de la vie, devient-on adulte d'un coup d'un seul? Il y a t-il en chaque adulte un enfant trop vite sevré. Ouanacaéra sous l'ère néo-coloniale, après la réussite du programme de créolité cult...