Aussi ébahi qu'épuisé, un jour je levai la tête et j'étais sous un autre ciel, laiteux. Une nouvelle page blanche en quelque sorte. Le béton pâle et gelé se dérobait sous mes pas. Je peinais à tenir debout, plus je tentais de m'y ancrer plus le sol revêche me repoussait magnétiquement. J'étais désormais en suspension entre la voûte et la terre qui ne m'offraient aucun repère. J'allais plus tard comprendre que c'est ce qu'on appelait le déracinement. Mon déracinement avait induit chez moi une quête. Plus j'errais, plus il y avait à errer. Je finis par accepter le sort. Ainsi, c'est la gravité qui fit son effet. Résilient, je retombai en réalisant l'inefficacité du tourment alors que suffisamment d'éléments s'étalaient là, à la source. Enfin... Dans ce qu'ils en avaient fait: Ils l'avaient entouré d'une plantation irriguée par notre sueur. La source c'était bien nous. Ils? Rho, il faut bien un ennemi sinon à quoi bon lutter. Qu'à cela ne tienne, le tous ensemble nous et eux, moi contre l'adversité constituait les bases du trauma originel.
Chaque minute passée loin des terres insulaires qui m'avaient vu naître m'avaient fait omettre l'essentiel, oublier tout le monde jusqu'à moi-même, chaque retour m'ouvrait à plus de ressource.
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L'expérience du monde contenait toujours plus de tourments qui à chaque pas n'appelaient qu'à toujours plus de questions. En définitif, on ne s'échappait pas de la plantation qui s'étendaient infiniment au delà de l'horizon imaginable. C'est de ce lisier effrayant qu'il convenait d'extirper un début de réponse: le monde n'était pas ailleurs, il ne s'échappait pas, il roulait en dessous de nous; ou sinon il nous roulait dessus! On avait plus a gagné en y faisant face et en y plantant quelques graines plutôt qu'à le fuir. Il fallait donc faire là où on pouvait car il n'y avait pas de refuge, sauf à définitivement quitter l'orbite tel Buzz Aldwin (et même lui en était revenu). Il faut avouer que durant mes années d'insouciance c'est une quête d'eau dans l'océan et une fibre d'explorateur qui m'animait. Je la tenais de mes deux grands parents, dont l'un n'avait paradoxalement jamais quitté son île.
Un jour de bas nuages prêts à se déchirer comme des sacs de riz nous discutions sous la véranda carrelée qui faisait front à la campagne herbeuse:
"Papy, t'as déjà pris l'avion? Demandai-je curieux à Albè Bomb'bè en fixant la piste 10/28 du haut de notre morne,
-Pour aller où? S'éveilla le vieil homme,
-Tu les regardes tout le temps partir, alors tu pourrais monter dedans une fois? Juste pour voir!
-Ah, ça ne me dit rien. Papy est déjà vieux! Répondit-il faussement dépité, tu sais la piste, continua-t-il avec nostalgie, quand j'ai commencé à la Colas c'était un chemin de terre. Nous avons travaillé des mois durant sous le soleil chaud, peut-être des années avant de voir se poser la première Caravelle. Le goudron était à peine durci et surement pas sec à certains endroits. Je m'en souviens comme si c'était hier... J'avais à peine 20 ans, c'était mon premier job alors ce n'est pas que je veuille à tout prix éviter l'avion mais je préfère veiller au grain... Ici même!
-Ah oui? Tu as construit la piste? Et vu la caravelle? Et encore avant ça?
-Jusqu'à mes 15 ans à peu près c'était par bateau que les gens allaient en France. Ils partaient sur le Colombie, le Normandie aussi, il y avait ce paquebot nommé Antilles. C'est même lui qui a inspiré la croisière s'amuse "I pri difé tou bannman'. Rigola-t-il pour ponctuer.
"Apré"... il y avait un gros hydravion d'Air France, comment il s'appelait? Latécoère mwen krwè... Tout' moun' té ka dessen' wè'y lè i té ka rivé, ah mi bagaye! Il y a eu le Constellation bien sûr... La caravelle aussi Air France et Air martinique et le 707 est arrivée en 64. Un s'est écrasé en Guadeloupe en 69. Le premier gros boeing 747 date de 74. J'étais encore à la Colas!

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Frégate
AdventureUne fois la bougie de l'insouciance soufflée sur le gâteau de la vie, devient-on adulte d'un coup d'un seul? Il y a t-il en chaque adulte un enfant trop vite sevré. Ouanacaéra sous l'ère néo-coloniale, après la réussite du programme de créolité cult...