Je ne l'avais parcouru qu'à pied ou en voiture mais en moto alors que la végétation dense défilait à portée de bras, je ressenti le danger de cette route en même temps qu'une excitation sans pareil. Le danger ne résidait pas dans une potentielle chute car pour cela je ne m'inquiétais pas. Le danger se situait dans le niveau d'adrénaline induit par la vitesse et le bruit coupant du vent. C'était le type d'activité qui pouvait vite rendre accro et changer une destinée. J'eu à cet égard une sympathie immédiate pour le sport. Arrivés à la boutique, nous prîmes la route du morne Pitault qui en moto s'avérait moins abrupte que dans le lourd taxi. La baie du François et ses îlets se révélaient au loin en contrebas et les moins prudes des propriétés embusquées derrières des nuées d'Alamanda, d'hibiscus et de bougainvilliers dévoilaient soudainement leurs jardins sur notre passage. Très vite nous atteignîmes le premier plateau où l'une des plus belles demeures trônait sur toute la plaine en s'enivrant d'une vue sublime sur la côte Atlantique. Pour baliser le quartier de Belaire le long palmier éléphant (comme peu de gens en plantaient) faisait office de mirador pour les quelques merles qui aimaient s'y retrouver malgré la forte brise incessante.
Au carrefour du Belaire qui donnait sur trois autres directions, une maison abandonnée faisait l'angle. Aucune barrière ne délimitait le terrain si ce n'est un jeune cocotier toujours dansant et un bel Hibiscus aux fleurs délicates et dentelés qui battaient la mesure avec ses branches aériennes. C'était l'une des maisons dont avait hérité Bonne Maman et qui malgré son état de ruine n'attendait que d'être transmise à la descendance. Le Belaire était apprécié des colibris non seulement parce que les propriétaires tentant de faire honneur à l'île aux fleurs y plantaient toutes les variétés qui leur venaient à l'idée, mais aussi parce que certains suspendaient des jars de nectar avec des embouts dessinés en hibiscus; ainsi les vifs volatiles friands de sucre pouvaient y faire une halte. Dans ce sens nous avions la priorité, nous ralentîmes sans devoir nous arrêter pour continuer la montée.
-Ta tante habite par en bas? Sylvaine... Sylvanie c'est ça? Demanda le motard tant qu'il était audible.
-Oui, c'est bien par là! Répondis-je en regardant vers le fond de la route.
Il connaissait. Cette information ne m'apportait rien de plus.
Pour passer du côté du Robert il y avait ce chemin que je n'avais pris qu'une fois deux semaines auparavant avec papy. Après un kilomètre sur les arrêtes du mornes on arrivait dans ce coin qui me paraissait être l'Amazonie, peut-être parce qu'il y avait moins de grandes maisons en plateau et plus de petites maisons qui semblaient toujours en chantier. Le coin devenait plus modeste, les jardins aménagés et les pelouses tondues laissaient place à de plus petits jardins créoles, plus sauvages (ce qui n'enlevait rien au charme). C'est d'ici qu'on pouvait voir entre deux massifs verts, après quelques virages en épingle l'une des plus belles vues sur les îlets du Robert. Cette vue indiquait que nous avions laisser le François derrière nous. Les joues, tantôt la gauche, tantôt la droite écrasées dans le casque que j'appuyais sur le dos de mon papa, j'observais les yeux grands ouverts. Bientôt nous entrâmes dans son fief familial. La Suzuki s'arrêta devant une maison que je reconnu cette fois-ci. Nous étions devant chez tatie Nadiège où nous allions manger ce midi. Devant était garé un mini bus à bande verte sur blanc. C'était le taxi de Tonton Clair, le compagnon de Tatie Nadiège qu'elle n'avait pas épousé. Francia était déjà là et affairée à la cuisine mais tout le monde sortit pour voir qui entrait. La table n'était pas encore dressée et mon papa avait des choses à récupérer dans la maison parentale plus bas à 200 mètres. Je saluai l'assistance avant de finir le chemin à pied. Plus bas, Andrew n'était pas là cette fois-ci mais Jean-Claude dans la petite case adjacente oui. Le cousin chabin cultivant une vague ressemblance avec Lionel Richie était heureux de nous voir, son visage déjà plissé et rectangulaire comme celui de mon père s'illumina lorsque ce dernier le hella:
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Frégate
AdventureUne fois la bougie de l'insouciance soufflée sur le gâteau de la vie, devient-on adulte d'un coup d'un seul? Il y a t-il en chaque adulte un enfant trop vite sevré. Ouanacaéra sous l'ère néo-coloniale, après la réussite du programme de créolité cult...