16. Le Sublime en l'Horrible

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« I've been drinkin', I've been drinkin'
I get filthy when that liquor get into me
I've been thinkin', I've been thinkin'
Why can't I keep my fingers off it?
Baby, I want you, now-now »

- Drunk in Love, Beyoncé


Forks. 23h19.
A 20min en vélo du lycée.

La nuit même, j'entrepris de disposer sur un tableau d'enquête improvisé à la dernière minute, toutes les informations que je possédais sur Hermès à ce stade de mon enquête. Bien que ceux-ci soient bien trop superficielles, et par conséquent, inutiles à la progression de son investigation, je souhaitais avoir une vue d'ensemble sur mes données. Sur Hermès.

L'Ange vengeur était Untel.
Untel qui connaissait Forks comme sa poche.
Untel assez minutieux et organisé pour n'avoir jamais été pris sur le fait, depuis déjà deux années scolaires.
Untel sans doute sportif. Mais, à coup sûr, ce « Il » était un anthropologue en déclin.

« C'est ce qu'on récolte à vouloir trop jouer les humanistes », marmonnai-je en même temps qu'un courant d'air claqua violemment la fenêtre de ma chambre que j'avais volontairement ouverte et engendra un frisson qui parcourut tout mon corps. Cette fois-ci, personne, pour ainsi dire Lammington, ne pouvait me contraindre à mourir de chaud entre quatre murs alors que la température était à glacer le sang à l'extérieur. J'aimais avoir le sang froid au point de faire une hypothermie. Il faut bien l'avouer, la saison hivernale était sans aucun doute ma période de l'année préférée !

Je détaillai une dernière fois les feuilles blanches accrochées derrière la porte de ma chambre, à l'aide de punaises. Il me fallait absolument un tableau d'enquête... Mais où placer cet objet parmi toutes les photos qui décoraient les murs de ma chambres ? Devrais-je juste jeter quelques uns des nombreux cadres photos des garçons et moi ? Mon cerveau réfléchissait, analysait, pesait le pour et le contre de la décision que j'étais sur le point de prendre. Mon regard se balada dans toute la pièce, encore et encore, jusqu'à s'arrêter sur un cadre photo sur lequel on pouvait voir Josh porter péniblement Zay sur son dos, tous deux en tenue de baseball. Si ma mémoire est bonne, j'avais pris cette photo l'année dernière à la fin d'un match amical de baseball au cours duquel notre équipe en était sortie victorieuse. C'est décidé, demain je passerai à la brocante du coin !

Les bourrasques de vent fermèrent violemment ma fenêtre une seconde fois. Et toute comme il y a quelques minutes, l'air frais vint chatouiller ma peau, ce qui me procura l'étrange sensation qu'une main caressait mon corps de tout son long. L'espace d'une fraction de seconde, je me vis succomber aux caresses de Kris Doyle. Assise sur le rebord de mon lit, ses mains se baladèrent d'abord sur mes jambes, allant de mes chevilles et remontant lentement vers mon short de pyjama. Ensuite, elles se glissèrent sous mon débardeur gris nuageux... Puis, rien. Le tonnerre gronda et fit disparaître la silhouette de Doyle en un claquement de doigts. Comme on peut le dire, "ce fut comme une apparition".

Ma silhouette mystérieuse..., murmurai-je, le sourire aux lèvres.

Tout à coup, comme poussée par une force supérieure, j'avançai vers mon lit à baldaquin, puis sautai joyeusement sur celui-ci. Je m'emparai de mon téléphone, une idée derrière la tête. La dernière fois que l'adrénaline m'avait envahie, rien qu'à l'idée de convoiter une personne ou un objet devrait remonter à mon enfance... Oui. C'est bien exacte, la poupée de Meredith Slayer. Une horrible marionnette joufflue, tel un raton-laveur, scintillante, à l'instar d'une peau bondée de sébum, coiffée d'un immonde chapeau Bibi des années 50s, et pour couronner le tout, Meredith Slayer avait dessiné deux petits cœurs pleins au rouge à lèvres sur ses joues. Affreux. Meredith n'aurait pas dû ramener sa poupée avec elle, ce jour-là à l'école, parce que d'un certain côté, j'avais adoré la laideur de sa poupée.

L'Horrible s'accordaient divinement bien au Sublime.

Et Kris Doyle cachait inévitablement l'Horrible en lui.


Forks. 23h25.
À 20min en vélo du lycée.

Cela devait faire une bonne dizaine de minutes que Kris Doyle examinait l'écran de son téléphone avec insistance, sans faire quoi que ce soit. Il avait besoin de temps pour que son cerveau puisse assimiler la notification qui était apparue sur son écran, quelques minutes plus tôt, alors qu'il était en pleine partie d'un jeu mobile de zombie. Zombie, un mort-vivant, un minuscule Kris Doyle sur petit écran, et c'était pour cela que celui-ci s'était passionné pour ces petites créatures.

Mis à part ceci, vous êtes sans doute curieux de savoir de quoi il s'agit parce qu'il nul ne peut contester le fait qu'Hermès sursautait à la moindre chose liée à son prédateur, Zara Dormine. Car en effet, voilà que cette dernière venait de lui envoyer une invitation à rejoindre une conversation groupée. Il n'avait même pas besoin d'ouvrir le message pour en connaître les participants. Mais le Messager avait littéralement des sueurs froides à l'idée de cliquer sur la notification et de réaliser qu'en réalité, il n'y avait que Zara Dormine et lui dans ce groupe de discussion. Il ne manquerait plus que la photographe lui passe aussi des coups de fil... !

Après avoir observé longuement le plafond de sa chambre, en étoile de mer au milieu de son lit défait et baignant dans une lumière tamisée presque sombre, le garçon prit un oreiller sur le côté puis cria son ennuie, son agacement au creux de celui-ci. Devrait-il ignorer toutes les tentatives d'approche de Dormine, comme il le faisait à la perfection à chaque fois que sa mère essayait de le convaincre qu'il n'était pas responsable de ce carnage ? Le fautif dans la disparition de l'âme de ses meilleurs amis ? Faire abstraction n'effaçait pas la réalité des choses. Faire abstraction ne condamnait pas les actions d'autrui sur lui. Il choisissait de faire abstraction, soit, d'ignorer, d'être indifférent, de se terrer, de combattre en solo ses propres ténèbres ou encore de sombrer seule et ce, par simple et pur souhait : "Foutez-moi la paix". Néanmoins, les mots de sa mère se faufilaient toujours jusqu'à ses oreilles; Abram Calton insistait pour qu'il s'ouvre davantage; à chaque fois qu'il recevait un appel de son père venant de Seattle, le sujet téléphonique virait très vite sur les bienfaits des rendez-vous avec un psy et ô combien cela ne pourrait que lui procurer un bien fou, ô qu'il était temps de trouver un bon psy dans le coin etc.

Hermès n'avait qu'un unique vœu humain, que le monde soit dépeuplé. Il priait avec ferveur pour qu'un jour, ses yeux brillent dans l'obscurité de ce monde, de la vie.

Ô qu'il en formulait ardemment le vœu ! Vraiment. Il y transférait toute son énergie, sa vitalité d'Homme, ses quelques années antérieures vécues avec entrain, à la folie, jusqu'au-boutisme. Ces quinze années d'insouciance et de folie des grandeurs, Kris Doyle était lâchement prêt à toutes les offrir gratuitement à quiconque le voulait afin que les battements de son cœur recommencent dans un monde parallèle.

Doyle posa inconsciemment une main sur sa poitrine, ferma lourdement les yeux et vida son esprit pour écouter la mélodie de son cœur. C'en était doublement affligeant. Il était bel et bien en vie, lui.

     Il s'en voulut soudainement d'avoir encore du sang qui pompait sa cage thoracique alors que six pieds sous terre, celles de ses meilleurs amis et de Joanna Allison n'étaient sans doute plus que des tas d'ossements. Mais pour Hermès à cet instant-ci, les regrets qui croissaient en lui n'étaient rien face au sentiment de dégoût envers sa personne qui était en train de naître en lui. Quand il s'imagina que le souvenir d'une inconnue comme Dormine venait tout juste de balayer les remords qui l'habitaient durant ce moment solennel, le Messager ne pouvait qu'éprouver de l'animosité envers lui !

Kris se haïssait du fait de s'être remémoré le dysfonctionnement de son cœur au moment où Zara Dormine avait emprisonné son poignet, plus tôt dans la soirée... Ils disjonctaient drastiquement, son cœur et lui, de battre ainsi pour une certaine personne collante au regard émeraude, persifla le jeune homme dans un coin de son esprit.

Love BombingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant