03. Amitiés opposées

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"Regardant le fond de ton verre, espérant qu'un jour tu feras durer un rêve, mais les rêves viennent rapidement et repartent tellement vite"

- Let her go, Passenger


Lycée de Forks. 11h58.
Réfectoire.

— C'est pas parce qu'on le surnomme Hermès que c'est forcément un engin qu'il porte et pas une paire de pamplemousses, avançai-je définitivement comme argument, avec la ferme intention d'avoir le dernier mot face à Zay.

J'enfourchai fermement mes haricots verts pour clore le débat. Mais évidemment, Zayron, dont la nature humaine s'apparentait à la mienne continua d'affirmer que c'était bel et bien un dieu grec qui se cachait sous le pseudonyme d'Hermès.

Je réprimai mon envie de rouler des yeux et de clore ainsi la discussion en lui offrant de tout cœur la dernière parole. A la place, j'inclinai dangereusement mon visage vers lui tout en lui faisant signe de se rapprocher également de moi.

Lorsque nous fûmes à quelques millimètres l'un de l'autre, que nos joues se caressaient, et que notre rythme cardiaque s'accordait l'un sur l'autre sous l'effet de l'adrénaline engendrée par l'accroissement du soi-disant suspens que j'avais créé, je lui chuchotai suavement à l'oreille :

— C'est ça. Tais-toi et mange en silence, Kalloway.

Joue contre joue, sa mâchoire soudainement crispée d'irritation chatouilla microscopiquement le duvet qui tapissait mon visage. Un sourire fier se dessina sur celui-ci, et ce sourire se transforma spontanément en un rictus empli de satisfaction.

Tout s'enchainait si distinctement dans ma tête que ma sagesse oublia à quel point Zay pouvait aisément changer tout plaisir en dégoût. Et c'est ce qu'il fit lorsqu'il lécha subitement ma peau rosée au fard à joue. Mon expression de surprise mêlée au dépit contrasta dès lors avec celle de Zay qui affichait à présent un sourire railleur. Je repris place confortablement sans piper mot, en signe de retrait. Dès l'instant où j'avais détourné mon attention de l'afro-américain, mes iris furent fatalement attirés par l'entrée du réfectoire.

— J'y crois pas. Josh a vraiment l'intention de draguer cette fille, murmurai-je à l'intention de Zay, mon menton reposant sur la paume de ma main.

Ce dernier suivit instinctivement mon regard tandis que Josh Lammington se préparait à entrer en action, son plateau repas en main et son éternel visage trompeur de bon à rien tête en l'air, à quelques mètres d'Aikaïla Starwiaski, la russe, qui venait tout juste de croquer à pleines dents sa pomme.

Après nous avoir lancé un sourire complice, auquel Zay et moi avions répondu, Josh s'élança l'air de rien vers la russe et feignit de trébucher quelques secondes après l'avoir dépassé. Il tomba tête la première dans son assiette de purée industrielle et tout comme les derniers magouilles du brun angélique, Zay et moi ne pûmes contenir nos expirations saccadées accompagnés d'une vocalisation inarticulée d'êtres humains stupides, autrement dit, nos rires.

— Pas très futé, Josh Lammington, plaisanta Zay en hochant négativement la tête.

— C'est vrai qu'il aurait dû prendre des haricots verts à la place, dis-je en étant presque compatissante avec le pauvre Josh qui venait de maquiller affreusement sa peau douce de purée de pomme de terre.


Lycée de Forks. 15h36.
Extérieur, terrain de baseball.

Zay Kalloway, pitcher*, de profil par rapport au nouveau minus de l'équipe, catcher*, se mit en position de lancer, après avoir tâté mécaniquement du pieds droit la plaque blanche qui lui faisait office de support. *Termes techniques en baseball. Le premier désignant le lanceur, et le second, le receveur.

Une brise de vent s'éleva au même moment qu'il entama minutieusement la montée de son genou avant jusqu'à hauteur maximale et que sa main gantée visait son partenaire, équilibrant ainsi toute la masse musculaire de l'adolescent de dix-sept ans. Ses mains jointes qui jusqu'à présent reposaient contre sa poitrine s'écartèrent l'une de l'autre en même temps que son pied avant se dirigeait redoutablement vers le receveur avant de toucher le sol. Le bras armé, et après avoir stabiliser le haut de son corps et son bras lanceur, Kalloway envoya une balle rapide et précise tout droit vers le minus qui attendait celle-ci vingt mètres plus loin. Manque de bol, Isaac McFray, le batteur de l'équipe adverse réussit magnifiquement à renvoyer la balle. L'objectif de Zara Dormine n'avait rien raté des mouvements parfaits de son meilleur ami. Le cliquetis de son appareil photo produisait un son si insignifiant, comparé à la symphonie jouée par tous les éléments naturels en action. Et au milieu de tout cela, la brune se déplaçait pas à pas d'un coin du terrain à un autre, l'objectif de son appareil visant rarement les divers joueurs tous vêtus d'une tenue blanche rayée tandis que son œil était plus attiré vers Zayron Kalloway et Josh Lammington.

Elle gloussa à travers l'objectif lorsqu'elle nota la danse improvisée aux allures sensuelles que venait d'effectuer Zay dans sa direction, en guise de signe amical tandis que la seconde suivante, Josh criait son prénom, debout à l'autre bout du terrain dans le camp adverse.

« Je traine avec deux clowns stupides », pensa-t-elle en roulant des yeux. Des yeux amusés.


Lycée de Forks. 15h44.
A quelques mètres du terrain de baseball.


   L'adolescent aux yeux verts et à la chevelure blonde indisciplinée courut pour rattraper son pote qui s'éloignait déjà vers l'arrière du lycée, d'un pas nonchalant. Arrivée à son niveau, il passa un bras autour des épaules du Messager avec pour but de tenter pour la énième fois de le persuader de l'accompagner au club de pêche auquel il était déjà très en retard.

— Tu trouves pas qu'il fait un temps à pêcher en ce moment ?, questionna le blond, le menton levé vers le ciel peu nuageux et l'air rêveur tandis que les deux jeunes gens continuaient d'avancer. C'est vrai quoi, la météo d'aujourd'hui est plutôt bonne pour une ville considérée comme étant l'une des plus pluvieuses des US, enchaîna-t-il.

Il regarda le ciel à son tour, non pas sans fouiller en même temps son sac à dos, à la recherche de son paquet de cigarettes.

— Officiellement, je me suis jamais inscrit à ce club, rétorqua enfin Hermès, tout en insérant l'objet toxique entre ses lèvres, d'un geste affirmé et hésitant par la même occasion tandis qu'ils arrivaient au niveau de leur coin favori de tout l'établissement.

— Et si..., débuta le blond avec une idée en tête.

Il l'interrompit d'un regard foudroyant, sachant déjà où voulait en venir son ami. Il tira lourdement une bouffée de nicotine, ce qui avait pour don de rapprocher les deux rangées de ses longs cils couleur souche d'arbre brun foncé. Puis, il expia lourdement la fumée de ses poumons.

— N'y pense même pas. Je suis bien là où je suis, au club d'échec.

Le blondinet soupira, un tantinet exaspéré, puis il rejoignit le brun qui était assis à même le sol, ses bras le soutenant de l'arrière pendant qu'il détaillait le ciel bleu sombre de la petite ville de Forks.

— D'ailleurs..., commença le blond en même temps qu'il s'empara du paquet de cigarettes, une junior* organise une petite fête samedi soir. Ça te dirait qu'on y fasse un petit tour ? *Élève en troisième année de lycée dans le système américain.

Le Messager s'étala de tout son corps sur le ciment froid. Il rajusta sa capuche sur sa tête afin de ne pas avoir la malheureuse surprise de retrouver une bestiole dans sa crinière, suite à quoi son crâne rentra doucement en contact avec la surface glaciale. Il feint soudainement une toux agressive dans l'espoir d'éviter d'être, une fois de plus, rude envers l'unique personne qui n'avait pas été freinée par son aura sombre quand il venait d'être transféré. Et sa tentative fut un succès puisque le blondinet aborda, sous le ton de la rigolade, sa nécessité d'arrêter de noircir ses poumons, par peur de commencer à crever comme son ami. Une pique à laquelle Hermès sourit, l'esprit mélancolique, le cœur amer.

Love BombingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant