06. Larmes & fossette

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"J'essaie mais je continue de tomber
Je crie mais rien ne vient pour l'instant "

- Hélium, Sia


Lycée de Forks. 7h45.

Il tira une dernière bouffée de nicotine de sa cigarette presque molle, son pull noir complètement trempé et le visage parsemé des larmes du ciel. Et tandis que sa main tenant le minuscule objet toxique se dirigeait dangereusement vers ses lèvres, les dernières cendres de sa cigarette s'échouèrent accidentellement au sol suite au contact d'une lourde goutte de pluie.

— Il aurait fallu ruiner ma cigarette bien plus tôt, souffla-t-il à l'intention des pleurs salés divins. Même pas foutu de mouiller un pauvre cylindre de papier toxique qui détruit ton environnement, pesta-t-il avant de détacher son regard du ciel et de le scotcher sur la poubelle cendrier fixée au mur du bâtiment du club jardinage juste à sa gauche.

Il se traîna vers le bâtiment, son mégot mouillé étant prisonnier au creux de sa main. Des gouttelettes d'eau perlaient de ses longs cils jusqu'à rejoindre une immense rivière de fausses larmes dévalant le visage du jeune homme. On aurait pu se demander si c'était réellement les larmes salées du ciel qui avait défiguré la figure d'Hermès tant son expression concordait avec son état.

Zara Dormine se dirigeait déjà vers la vieille façade en briques rouges, les deux bras encerclant difficilement les épaules de ses deux amis. Celle-ci voulant épier une dernière fois la silhouette mystérieuse, regarda par derrière son épaule et à sa plus grande surprise, elle réussit à voir qui se cachait derrière cette silhouette solitaire.

Hermès prit soin de bien jeter son mégot dans la poubelle faite pour. Il passa furtivement sa main sur son visage puis dans ses cheveux afin d'éclaircir sa vision et d'empêcher que d'autres gouttes provenant de ses mèches avant ne glissent à nouveau sur sa peau. Ce dernier geste entraîna promptement la tombée de sa capuche humide, lui donnant ainsi un air d'enfant perdu au bout du monde : les cheveux en bataille, comme s'il venait tout juste de sortir du lit, une expression indéfinissable et les yeux dans le vide mais qui avaient tout l'air de dévisager la poubelle cendrier.

« Un regard profondément vide de toute adrénaline », pensa Zara Dormine lorsque ses iris rencontrèrent ceux du jeune homme avant qu'elle ne fût contrainte par ses amis de regarder vers l'avant.

Il observa la bande, et plus précisément la brune, jusqu'à ce qu'ils sortent de son champs de vision. « Qu'ils voient la vie en rose », songea-t-il avec dédain. Il prit ensuite avec empressement la direction de la salle d'histoire dans laquelle devait déjà patienter un quadragénaire particulièrement irrité, le pire enseignant du lycée entier. Et pour la milliardième fois de la matinée, son esprit divagua sur l'américano-thaïlandaise.

✉️
« Salut, c'est Willey Graham. Merci d'avoir terni encore plus mon image.

Tu sais, toi, que je n'ai pas couché avec McFray, n'est-ce pas ? Oh que oui, tu dois le savoir.

T'es qu'un sale type si tu n'avoues pas la vérité. Je te laisse encore l'opportunité de te rattraper.

T'as jusqu'à la nuit entre samedi et dimanche pour le faire, soit avant la fin de ma soirée. »


Lycée de Forks. 7h50.
Salle d'Histoire.


Arrivé près de sa salle de cours, il se permit de prendre quelques secondes pour enlever son pull mouillé qui lui collait dorénavant à la peau. Là, au milieu d'un couloir de salles, au milieu des quelques élèves retardataires pressés par le temps, Hermès se crut royalement chez lui. Car le pull qui embrassait à merveille le t-shirt gris du jeune homme emporta le tissu dans son mouvement, laissant ainsi à la vue du monde pendant une éternité de secondes, les abdos séduisants de l'adolescent.

Le pull à présent ôté, Hermès tomba sur certains regards jugeurs et d'autres, intéressés. Il les toisa tous deux. Mais lorsqu'il vit un Calton en furie au bout du couloir, il ramassa en vitesse son sac à dos qu'il avait posé au sol et s'engouffra dans la salle. Le professeur d'histoire qui s'apprêtait à fermer la porte le dévisagea obscurément. Ensuite, le quadragénaire voulant enfin débuter son cours, et pris d'un soudain agacement, décida de claquer le bois rectangulaire mais juste avant que ce ne fût le cas, la main moite de la personne à l'origine de la fuite du Messager s'accrocha désespérément au chant de la porte.

— Calton, articula minutieusement le professeur, un regard bigleux pointé sur l'élève qui suintait.

Calton répliqua par un sourire difficilement étiré en raison de son antipathie pour l'adulte, un acte qui engendra un creux sur sa joue gauche : son atout fatale de séduction, sa fossette bien-aimée.

Le garçon prit place aux côtés du brun. Un semblant de silence régna dans la salle de classe, le temps que le professeur ait retrouvé sa sérénité. Quand ce fut le cas une quinzaine de minutes plus tard, divers groupes de messes basses se formèrent un à un. Et parmi eux, se trouvaient les deux adolescents.

— Demain soir, neuf heures et demie devant chez toi ?, chuchota Abram Calton, un sourire hypocrite vers le professeur qui venait tout juste de relever la tête de son bouquin sur la Ruée vers l'or.

Il gesticula nerveusement sur sa chaise et joua le sourd-muet en s'extasiant devant les goûtes d'eau salées de pluie glissant le long de la vitre. Le Messager n'avait pas encore pris sa décision quant au fait de se rendre ou non à la soirée de Willey Graham. Le garçon n'avait jamais eu à affronter ce genre de problèmes ces deux dernières années pendant lesquelles il avait opéré sous le pseudonyme d'Hermès.

Aucun élève ne s'était plaint à lui parce qu'il n'y avait tout simplement pas lieu de se plaindre. Ces gens étaient bien trop préoccupés par leur humiliation totale que par l'auteur de celle-ci qui n'était personne d'autre que le Messager. Abram Calton réitéra sa question, cette fois-ci en fixant son camarade qui semblait être subitement passionné par l'histoire de son pays, lui qui ne jurait que par la biologie. Il tapota discrètement le manuel d'Hermès, d'un air mi agacé mi sur ses gardes. Au bout d'une minute d'attente, celui-ci pivota sa tête vers et marmonna dans sa barbe inexistante :

— Impossible. Le lendemain je dois me lever tôt pour aller à l'église.

Il se racla la gorge et poursuivit son discours improvisé en essayant d'être le plus convaincant possible : « Tu vois de quoi je parle ? Dieu et le pardon des péchés etc. Et des péchés, j'en ai de quoi remplir une cargaison entière de drogue à la Pablo Escobar... »

     Calton arqua un sourcil, dubitatif. S'il croyait s'en tirer ainsi, il se fourrait le doigt dans l'œil. Il avait pressenti ce renfermement en Hermès quand ce dernier venait d'arriver au lycée. Il avait alors essayé de devenir son ami, de le faire rire, sourire, et pourquoi pas le sortir de ses gongs aussi. Mais jusque-là, au bout de deux ans "d'amitié", il ne l'avait pas encore cerné, son copain était toujours aussi impassible.

Cependant, il avait conscience du changement qui s'opérait en Hermès. Car, il y avait ces rares mini instants entre eux durant lesquels le Messager esquissait un micro sourire, un micro rictus, une mini colère ou agacement.

Et pour cette dernière année, Calton avait bien l'intention de lui faire profiter à fond de sa vie d'adolescent. C'est pourquoi il rétorqua sur un ton joueur :

— Parle-moi de la catharsis.

Le Messager, surpris et ignorant, se tut et grommela un réponse absurde tout en gribouillant sur ses feuilles de cours en remettant en cause l'excuse qu'il venait de donner, lui qui était pourtant de nature pragmatique.

— Demain soir, neuf heures et demie donc, clôtura Abram, un sourire fier au visage.

Il ne répondit rien. Après tout, peut-être fallait-il simplement se rendre à cette soirée bondée de démons de l'insouciance en tant que simple élève et non en Hermès. Il faut dire que ce dernier n'avait aucune envie d'orchestrer une révélation de l'homosexualité d'Isaac McFray juste pour déteindre un chouïa la mauvaise réputation de Willey Graham. Une rumeur de plus à son sujet, qu'est-ce que cela pouvait bien avoir changé à sa vie, hein ?

« Si elle pense que je viendrai en Hermès, elle se leurre royalement », marmonna sèchement le brun en achevant son dessin vite fait mal fait; celui d'un regard empli de haine.

Love BombingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant