05. Silhouette mystérieuse

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"Cigarette
J'la vois se consumer
J'nous vois nous consumer"

- Cigarette, Tsew The Kid

Forks. 7h23.
À 20min en vélo du lycée.

Le Messager dévala les escaliers en bois rouge cirées, une brosse à dent entre les lèvres et son éternel pull noir à capuche le revêtant.

La dernière marche lui faisant office de tabouret, il s'y assit et se dépêcha d'enfiler ses baskets blanches usées par tout le beau et le mauvais temps de ces derniers mois. Jerry lui annonça quelque chose de la salle à manger où elle sirotait tranquillement son café au lait, mais ses paroles étaient bien trop peu sonores pour parvenir distinctement aux oreilles de l'adolescent. Il faut dire qu'elle faisait partie des rares adultes qui avaient en horreur le goût amer du café noir, et siroter avec plaisir son café au lait diminuait ses facultés de communication avec son fils.

Il termina de nouer ses lacets et passa ensuite sa tête en trombe dans l'entrebâillement de la salle à manger : « mam, tu disais quoi ? »

La trentenaire, dos à son fils, ne se tourna qu'à moitié vers celui-ci, trop captivée par le journal local qu'elle lisait : « ils annoncent de la pluie pour les trois prochains jours. Tu veux que je te dépose au lycée ? », proposa Jerry.

Hermès déclina maladroitement la proposition de sa mère en prenant comme excuse le fait qu'il avait besoin de se dégourdir les muscles. Une excuse à laquelle Jerry avait seulement répondu par un marmonnement inaudible.

Il saisit à la hâte son sac à dos posé au pied des escaliers avant de se ruer vers le magnifique jardin fleuri; une œuvre insaisissable pour le jeune homme.

Un pied sur la pédale de sa bicyclette, et le voilà parti pour le lycée de Forks ­— l'endroit où régnaient les démons de l'insouciance — sous un ciel assombri par de gros nuages gris. Et l'on aurait pu préciser que ces nuages étaient aussi gris que les pensées de l'adolescent, seulement, la noirceur dans toute sa splendeur condamnait déjà quatre-vingt-dix-huit pour cent de celles-ci. Les deux pour cent restants étaient sans doute possédés par ses pulsions d'Homme, va savoir lesquelles.

Ainsi, en même temps que son âme se rapprochait de plus en plus de ces démons de l'insouciance, les mots acerbes de Willey Graham vis-à-vis de lui occupaient pleinement son esprit.

Forks. 7h31.
À 20min en vélo du lycée.

Et une semaine de plus sans signe du Messager. Hermès n'avait jamais autant été absent. Jamais. Étais-ce une fâcheuse grippe qui le forçait à être cloué au lit ? Ou avait-il simplement abandonné son passe-temps peu recommandable mais très alléchant quant à toute l'excitation, l'adrénaline, le plaisir que l'on pouvait y ressentir ?

Pourquoi avait-il décliné la requête de Grenda Fallenson ? Était-ce un de ces nombreux baveux en extase devant les traits atypiques de Willey Graham ? Toutes ces questions se bousculaient dans ma tête les unes après les autres avec sûrement comme objectif préétabli de me faire tourner en dérision et ainsi finir dans un hôpital psychiatrique. Du moins, si elles parvenaient d'abord à ébranler mon indocilité. Acharnez-vous jusqu'à me lobotomiser qu'avant même que je sois internée, j'aurais déjà démasqué ce soit disant dieu grec à tomber.

C'était l'heure de se mettre réellement à la chasse d'Hermès. Pour cela, quoi de plus prometteur que de la déclencher par l'interview du présumé témoin oculaire, Francesca Molleton ?

Je lançai un coup d'œil rapide sur l'écran allumé de mon téléphone abîmé, les lèvres tremblantes, puis grognai contre Zay qui nous mettrait en retard si jamais il ne stationnait pas devant chez moi dans les cinq prochaines minutes.

Après avoir artificiellement contemplé la nature pendant quelques secondes, la voiture du mat rentrait enfin dans mon champs de vision. A quelques mètres de mon habit corporel, l'expression spécieusement sotte de Josh à l'air libre illumina ma matinée brumeuse.

Dès l'instant où je pris place à l'arrière, les deux garçons se retournèrent et entraînèrent directement mon buste vers l'avant afin de déposer chacun un coup de langue sur mes joues. Certains pourraient croire que notre relation était l'illustre exemple-même de la malséance. Mais, c'était en cela notre vision de l'amitié, c'est-à-dire, tout juste vivre sur la ligne séparant l'amitié et l'amour. Puis, le jour où nous atteindrions le sublime-même de l'amitié avec grand A, nous basculerons définitivement d'un côté.


Lycée de Forks. 7h42.

     Le 4x4 marron se gara enfin sur le parking du lycée où grouillait un grand nombre d'élèves

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Le 4x4 marron se gara enfin sur le parking du lycée où grouillait un grand nombre d'élèves. Les uns prenaient sans tarder la direction de leur lieu de cours, les autres conversaient de leur vie fade et le reste, dans lequel Josh, Zay et moi appartenions, s'était regroupé vers le coin fumeurs.

De fines goûtes de pluie se mirent soudainement à tâcher, de sa légère encre transparente, toute la ville de Forks une minute après que nous soyons sortis de la voiture. Tandis que les deux premiers tiers des élèves accouraient vers l'intérieur de l'établissement ou s'éparpillaient par groupes d'amis, le dernier tiers restant s'entassa sous la terrasse du petit bâtiment horizontal attribué au club jardinage. Le-garçon-aux-traits-les-plus-angéliques-du-lycée sortit une cigarette de son paquet Pall Mall et la coinça précautionneusement de lui-même entre mes lèvres, non pas sans pester contre la météo merdique. Zay, sans prêter attention à qui que ce soit pianotait, un sourire douteux sur son visage couleur caramel.

— T'en veux pas une... ? Il nous reste trois minutes avant le début du premier cours, interpellai-je ce dernier en expirant ma fumée vers lui afin de le faire décrocher de son mobile.

Le joueur de baseball jeta simplement un coup d'œil dans ma direction et s'empressa de taper frénétiquement sur le clavier de son téléphone une dernière fois. Puis, il enfonça précautionneusement son smartphone dans la poche arrière de son jean noir. Ce après quoi, au lieu de demander une cigarette, il vint s'emparer de la mienne en énonçant : « ...pour avoir intentionnellement recraché ta fumée sur la veste en cuir de mon père. »

— C'est sûr qu'il ignore que t'as recommencé à fumer, intervint ironiquement Josh tandis que je roulai des yeux.

Zay me bouscula légèrement afin de s'emparer du cou de Josh et ainsi encercler sa tête de son bras musclé. Celui-ci se débattit maladroitement dans un premier temps, attirant par la même occasion les regards curieux et méprisant de nos camarades fumeurs, mais ce fut en vain.

Et pendant que les deux enfants jouaient, une silhouette masculine debout sous ce ciel gris et pluvieux, semblait contempler les ténèbres d'en haut tout en apportant lentement une cigarette à ses lèvres. La fumée rejetée vers le ciel embrassa la pluie avant de s'évaporer.

Mes yeux bloquèrent sur la mystérieuse silhouette jusqu'à ce que la sonnerie annonçant le début des cours me ramène à ma réalité énergétique. Pour ainsi dire, une réalité qui contrastait profondément avec la solitude émanant de ce garçon.

— C'est bon, Zay, ta voix cassée te trahissait déjà auprès de ton père. Allez les gars, on bouge !

Love BombingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant