Emma

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          Les seuls souvenirs que j'ai de ma mère sont en train de partir en fumée. Je me sens vide. Mon cœur vient de se fendre en deux, et de perdre une partie. J'ai l'impression que le morceau reste encore accroché, comme s'il se balançait dans mon corps, comme s'il attendait une dernière nouvelle pour tomber. Je me racle la gorge, pour me ressaisir et affronter les mots seyants du directeur.

Malgré moi, je savais que les irréguliers étaient des êtes extraordinaires, mais je ne pensais pas qu'avoir un sang différent allait nous causer autant de tort. Je ne connaissais pas ce cette prophétie, mais j'aurais aimé ne jamais le connaître. Ma mère était une femme avec une élégance. Elle avait un savoir-faire inouï et une façon de voir les choses peu communes, mais juste pour cette phrase, je n'aurais pas voulu être sa fille. J'aurais voulu vivre comme un mage normal, sans avoir de lien avec elle. Je voulais juste tracer ma route. Apprendre à contrôler mon don. Me faire des amis, des ennemis, avoir un petit-ami afin de fonder une famille, mais ce n'est pas possible. Pas maintenant en tout cas.

— Où est ma fille ?

L'inquiétude de Katarina me ramène à la raison. Bien trop obnubilée par les propos de monsieur Morrow, je n'ai pas pensé à mes camarades de classe. Les étudiants continuent de dévaler l'escalier, marchant les uns sur les autres, affolés. Même si nous sommes obligés de reculer pour leur laisser de la place et que le directeur tente enfin d'en calmer certains, mon regard reste rivé vers la grande porte en bois. Un stress envahit mon corps quand je vois le dernier élève passer l'encadrement. Dans toutes les personnes que je connais, trois ne sont pas sorties. Jasper, Aireen et madame Klein. J'espère que les flammes ne les ont pas piégés. Dans le pire des cas, je me dis que le feu est la magie de la déléguée, qu'elle pourra peut-être la contrôler. Je réfléchis aussi pour mon petit flocon de neige en murmurant qu'il pourra éteindre les flammes grâce à l'eau. Mais pour Évangéline, une angoisse s'empare de mon être. Ce n'est pas en se métamorphosant qu'elle pourra sortir de là. Une femme ne mérite pas de mourir de cette manière : brûler vive.

Mes yeux se tournent vers Léon et Nélia, toujours bras dessus, bras dessous, avant qu'ils ne se tournent vers l'infirmière. Je m'approche d'elle en posant une main délicate sur son épaule.

— Ne vous inquiétez pas. Ils vont s'en sortir, murmuré-je pour la rassurer.

Elle me jette un coup d'œil, esquissant un simple sourire, mais dévie rapidement ses iris vers la porte. Tout en observant les étudiants, affolés pour certains, tristes pour d'autres, des quintes de toux attirent mon attention. Sans même pivoter vers l'école, mon cœur se soulage. C'est en voyant mes deux amis, ainsi que mon enseignante passer le coin de la porte que je ferme les paupières et souffle un bon coup.

Je me précipite vers Aireen, que je prends sauvagement dans mes bras. Caressant sa chevelure noircie par les cendres et la fumée, j'essaie de la réconforter. Je la relâche quelques secondes après, pour laisser sa mère la retrouver.

Samuel reste à une certaine distance de Jasper. J'ai bien compris une chose en les analysant : ils ne sont pas du genre à se câliner. Leur relation passe par des échanges de regard, comme maintenant. Derrière ses yeux verts, mon tendre démon est soulagé de voir que son ami le plus précieux n'a rien de cassé. Il l'observe avec minutie, détaillant pour s'assurer qu'il n'a rien. Le jeune homme aux cheveux blancs n'est pas blessé. J'ai juste l'impression qu'il a travaillé dans une mine. La veste de l'école est passée de grise à noire, comme son pantalon et sa chevelure.

Nous reculons. Nous nous fondons dans la foule d'étudiants rassemblée devant l'université. Le ciel si bleu devient sombre. La lumière du jour ne sera pas restée longtemps.

— J'aimerais... que tout ceci soit une illusion, soufflé-je à cœur ouvert.

Tout le monde se tourne vers moi. Jasper et Aireen regardent un instant le sous-sol avant d'ancrer à nouveau leurs pupilles dans les miennes. Ils sont peinés, car ils savent que c'est la vérité. Contrairement à tout à l'heure, je ne ressens pas de magie derrière tout ça. Les élèves autour de nous sont bien conscients de ce qu'il se passe.

Les Irréguliers - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant