Les Irréguliers - Tome 1

Samuel

        Mon cerveau ne réfléchit plus. Sûrement au bord du gouffre depuis ma naissance, il se demande quand vais-je enfin franchir le pas et sauter pour arrêter toute cette mascarade. Mon avenir est incertain, mais à l'heure actuelle, il est bien tracé vers l'enfer. Malgré tout ça, mon regard ne se décolle pas du sien. Même si ses craintes me parviennent, je ne peux pas m'empêcher de la troubler. Comme si elle était la seule fleur dans une vaste prairie, elle attise ma curiosité et mon envie de l'arracher est grande. Une autre personne aurait plutôt dit de la protéger jusqu'à ce que plusieurs fleurs se joignent à elle, mais je ne pense pas comme eux. Elle n'a rien à faire ici. Si elle n'est jamais venue à l'académie, elle n'a jamais suivi un cursus scolaire. Arriver ici, chercher après Aireen et Jasper comme elle l'a fait, puis crier mon nom pour me découvrir, c'est absurde. Elle n'a pas à faire cela. Je déteste sa mère, car elle n'a jamais pensé à nous. Cette femme était une irrégulière, mais ne s'était-elle jamais dit que son malheur ricocherait sur nous. Sommes-nous heureux d'être à l'académie Revolt ? Je ne crois pas. Dans mon cas, c'est un non catégorique.

Emma a les mêmes yeux que sa génitrice, un bleu lagon qui trahit ses émotions. Sa chevelure auburn, peu commune chez les simples humains fait d'elle un tableau typique de la parfaite bonne fille. J'aurais juré voir Cléa hier avec trente ans de moins. Elle est désemparée, ça se voit, mais mon esprit sait que cette demoiselle est intriguée par moi.

— Samuel... Tu vas bien ?

Je jette un bref coup d'œil vers Jasper avant de souffler. Ma réponse n'est pas si facile à donner. J'ai un bandage qui couvre l'arrière de ma tête et quelques contusions dans le dos. Cette histoire est peut-être partie d'un quiproquo, mais la question que cette fille m'a posée la nuit dernière m'a irrité. Si Madame Klein n'était pas intervenue, je ne lui aurais probablement rien fait. Je voulais juste lui faire peur, pas la blesser. Je n'en suis pas encore à ce point.

— Comment te sentirais-tu à ma place ? demandé-je à la va-vite.

— Je ne dirais pas que j'aurais mal, car tu n'es pas du genre à éprouver de la souffrance, mais je dirais que j'éprouverais du dégoût, me répond-il avec la plus grande des franchises.

Je lève mon regard surpris vers lui. Ses mèches blanches tombent devant ses yeux d'une couleur froide. Il essaie de me déstabiliser, mais il a raison. Je n'ai pas besoin de répondre, il sait très bien ce que je pense.

Juste à ses pieds, une petite souris grise s'installe sur sa chaussure droite. Au moindre bruit, ses oreilles bougent, mais surtout, ses pupilles s'ancrent dans les miennes.

— Madame Klein, vous êtes en retard, lancé-je à mon enseignante.

Étonné, Jasper ne comprend pas ce qu'il se passe. Il tourne la tête dans tous les sens, cherchant à savoir à qui je parle. C'est seulement quand le rongeur se met à couiner un peu, qu'il remarque Évangéline. Elle vient s'étirer en hauteur et reprendre sa forme humaine en bâillant.

— C'est épuisant. Pourquoi es-tu le seul à te rendre compte de ma présence ? me demande-t-elle fatiguée.

Elle prend mon silence comme une réponse. Après avoir roulé des yeux, elle tourne son regard vers les deux demoiselles au fond de la salle et leur fait signe de venir. Emma et Aireen se dirigent maintenant vers nous avec leur plus beau sourire, même si l'une d'elle à l'air toujours préoccupée. Me voir au côté de notre professeur doit particulièrement la troubler. Après être partie ce soir-là, madame Klein est restée longuement à mes côtés. Elle me disait qu'elle s'en voulait et me conseillait même d'aller voir l'infirmière pour être sûre de ne rien avoir de cassé, mais je savais surtout qu'elle soulageait son ego. Elle rêve de me remettre en place une bonne fois pour toutes, on va dire que cette occasion est un bon début. Sauf que... elle aussi a été blessée. Ça ne se voit pas, mais mes paroles sont ma magie et les mots blessent plus que les poings. La prochaine fois, elle fera attention. Évangéline, il ne faut pas défendre n'importe qui.