Nelmas. An 2882. Quelques temps après l'attaque près de Letariv.
Ce soir-là, Sylvia n'était pas revenue seule de la rencontre qui s'était déroulée à Letariv. Une quinzaine d'individus faisant partie de la garde karianie l'accompagnait, à cheval pour la plus part. Le petit cortège était fermé par une NCM ; une nef-cargo magnétique. À leur tête, aux cotés de Sylvia, chevauchait un homme d'environ vingt-cinq ans, comme les autres, il portait des vêtements militaires ; une épaisse veste de protection sombre et de solides pantalons de toile brunâtre aux multiples larges poches. A l'instar de la plupart des gardes, une épée et un fusil étaient accrochés dans son dos. D'autres armes étaient fixés au niveau de sa ceinture ou au harnais autour d'une de ses jambes. Il se tenait droit et, de ses yeux bleus observait discrètement chaque recoin du village qu'ils traversaient.
Reid rentrait à peine des champs lorsqu'il les avait croisés à l'entrée de Nelmas. S'il y avait bien une chose à laquelle ne s'attendait pas, c'était celle-là ; pourquoi toute une troupe de la garde venait-elle ici ? Les choses devaient être encore plus graves que ce qu'ils s'étaient tous dit ce matin. Dans tous les cas, il préférait ne pas s'attarder ; il devait encore ramener le matériel à la ferme et le nettoyer, en plus de nourrir son têtu kalewon, qui avançait encore plus lentement qu'une tortue.
-Allez ! Tu as dormi toute l'après-midi, râla-t-il en tirant sur les rênes du robuste mammifère pour le faire avancer. L'animal meugla de mécontentement. Son maître l'avait laissé se déshydrater toute l'après-midi ; il était bien décidé à lui faire comprendre qu'il n'était pas satisfait.
Heureusement, lorsqu'il était enfin arrivé chez lui, il se rendit compte que son père était déjà de retour. Ce dernier l'aida donc, et ensemble, ils nourrirent les trois kalewons qu'ils possédaient.
Reid était pressé de retourner au village ; Sylvia était de retour, et avec elle, des informations sur ce qu'il s'était passé aux abords de la frontière. Il en avait discuté avec son père, alors qu'ils remplissaient les mangeoires des bêtes. D'après Tritz, tout le monde était au courant ; c'était même un des sujets principaux à Adalgon. Une bonne partie de la planète toute entière savait ce qu'il s'était passé. C'est d'ailleurs pour cela que Tritz avait décidé de rentrer plus tôt que prévu. Les attaques dans leur pays étaient devenues si fréquentes, qu'Obériande toute entière en avait eu vent maintenant. D'habitude, Karianis était un pays calme et sans histoires, un royaume démocratique et pacifique. Contrairement à Merildis, leur voisin, les rois ou reines de Karianis étaient élus par le peuple, pour un mandat d'une durée de six ans.
Attablés dans leur cuisine, Tritz continuait de lui parler des dernières nouvelles qu'il avait pu glaner à Adalgon.
-De plus en plus de gens pensent qu'il ne s'agit pas de simples attaques de bandits, rapporta-t-il. J'ai entendu des hypothèses toutes aussi farfelues les unes que les autres, autant par les clients que les autres marchands.
-J'imagine que tout le monde y va de sa propre théorie, dit Reid. Comme personne ne sait rien, on peut tout inventer.
-Eh bien, j'espère que ça ne durera pas. Les choses sont déjà assez compliquées comme ça avec ces attaques ; pas la peine d'en rajouter avec mille théories du complot.
Reid espérait dîner le plus rapidement possible ; il devait voir Sylvia. Il essayait de cacher son impatience à son père, mais la discussion prolongeait le repas. Il ne voulait pas le vexer en le laissant, surtout après une si longue journée sur les routes.
Lorsqu'il put enfin quitter la maison, il faisait nuit noire. Toutefois, les torches accrochées aux murs des habitations, éclairaient les rues du village ; on pouvait donc facilement y circuler. Maintenant qu'il était à nouveau seul, l'étrange rencontre qu'il avait faite cette après-midi lui revint à l'esprit, le souvenir de cet instant prenait à nouveau toute la place dans son cerveau. Il avait été terrifié. Il l'était encore un peu. La femme de son rêve existait réellement. Alors, est-ce que son rêve en était justement un ? Il lui semblait qu'elle lui avait parlé directement par pensées. Peut-être était-ce elle, qui lui avait envoyé ces images et ces sensations dans son sommeil. Il n'était sûr de rien. Il était perdu. Et encore effrayé.
Plus il approchait de la place centrale, plus il croisait d'autres villageois, qu'il salua rapidement. C'était plutôt inhabituel de croiser autant de personnes à cette heure-ci. Ici, on préférait dormir assez tôt pour être en forme le lendemain dès le levé du Soleil. Le soir, on passait un peu de temps dans le petit bar près du projecteur holographique ; cela permettait d'avoir une ouverture sur ce qui se passait dans le reste du monde ; à savoir, principalement Obériande. Ils avaient de temps en temps, aussi de rares nouvelles sur des échanges qu'avaient lieu entre les hautes strates de la société obériane avec des êtres d'autres mondes.
Les Tungs avaient été les premiers extraterrestres à avoir débarqué sur Obériande. En tout cas, c'était les premiers depuis que des humains y vivaient. Les Tungs étaient des envahisseurs, des pilleurs et des tueurs. Ils ressemblaient à de grands monstres aux membres disproportionnés, mais étaient extrêmement agiles. Puis sont arrivés les ragens. Les ragens ne sont pas une espèce à proprement parler, mais plutôt une organisation d'assassins professionnels. Ses membres appartiennent à plusieurs espèces différentes, dont des humains. Durant l'invasion, chaque ragens avait une garnison de Tungs à leurs ordres. Les choses ont empiré lorsqu'ils sont arrivés. En plus de diriger une troupe de monstres, ils avaient accès à d'immenses pouvoirs ; l'organisation était entièrement constituée d'elysiens. Ces derniers étaient sans doute recrutés un peu partout dans la galaxie.
Quoi qu'il en soit, le premier contact extraterrestre qu'avait vécu les habitants d'Obériande était celui-ci ; la guerre. Si d'autres systèmes n'étaient pas intervenus pour apporter leur aide, il n'y aurait sans-doute plus personnes sur ce rocher perdu.
Une fois Obériande débarrassée des Tung et des Ragens, Keder, le roi de tous les royaumes de la planète, avait décidé de rompre tous contacts avec qui que ce soit qui ne venait pas de son monde. La grande majorité des habitants étaient de son avis. Après cette guerre, il était impossible de faire entièrement confiance à un quelconque être d'un autre monde. Ils étaient pour la plupart, plus avancés technologiquement, et donc dangereux. Malgré l'aide apportée, les obérianes étaient encore trop traumatisés ; la méfiance était devenu un automatisme. Non seulement envers les étrangers, mais aussi les elysiens. Ils étaient déjà mal-vus avant la guerre. Seulement, la venue des ragens avait attisé la haine des humains sans pouvoirs à leur égard.
Les choses ne sont pas restées ainsi ; quelques années plus tard, des individus extraterrestres avaient tenté d'établir le contact avec le roi Keder et d'autres membres de son administration. S'agissant d'anciens alliés, il avait été décidé, de finalement tenter un rapprochement. Depuis, deux à trois fois par années obérianes, des rencontres étaient organisées. D'autres fois, il s'agissait simplement de contact par l'intermédiaire de communicateurs holographiques ; technologie héritée de la guerre. Au final, leurs alliés avaient apportés plus que la victoire sur Obériande. Après la reconstruction des royaumes, du matériel et des connaissances avaient été échangés avec ces gens. Après tout, leurs planètes à eux aussi avaient été touchées.
Obériande échangeait principalement avec les représentants de deux systèmes planétaires. Ces deux là étaient surtout privilégiés pour la simple et bonne raison, qu'il s'agissait aussi d'humains ; il était plus simple pour les obérianes de leur faire confiance.
Reid avait énormément perdu à cause de cette guerre ; ses parents biologiques, qu'il n'a jamais pu connaître. Si Tritz et Ivna Tergan n'avaient pas été là, il ne sait pas ce qu'il serait devenu. Il ne connaissait même pas son nom d'origine. Seulement son prénom brodé sur sa couverture de nourrisson quand Ivna l'avait trouvé. Mais elle non plus, il n'avait pu la connaître assez longtemps. Ivna avait été tuée par méfiance, par haine, de la façon la plus atroce qui soit. Pour une raison stupide, parce qu'elle était différente, et qu'on avait peur d'elle. C'est pourtant elle qui avait été le plus terrifiée. Elysienne. Comme Reid.
Le jeune homme arriva finalement devant le bar. Et il hésita à aller plus loin. Devant l'entrée, Jill et Sylvia s'entretenait avec l'homme qu'avait vu Reid quelques heures plus tôt. Le fameux commandant de la garde karianie. Il portait encore ses armes sur lui. Pour quelles raisons portait-il encore ces choses en plein Nelmas ?
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Elysians : L'Héritage des Étoiles
Viễn tưởngLes elysiens sont craints et rejetés. Leur différence pousse à la méfiance, voire à la haine. D'ailleurs, ne ressemblent-ils pas à ces envahisseurs venus d'autres mondes ? Reid, lui, est devenu ce qu'il redoutait par-dessus tout ; un guerrier, un as...