Chapitre 11 : Une reine digne

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Christian écarquilla les yeux si grand qu'il crut un instant qu'ils tomberaient sur ses genoux, comme deux billes ternes et vides.

— Que... la reine des Ospales, mais... bégaya-t-il, effaré, ne sachant plus où regarder. Je crains de ne pas comprendre. La reine des Ospales n'est autre que...

— Ma génitrice, tout à fait.

— Je crois que vous voulez dire par là...

— Celle qui m'a mis au monde, oui, l'interrompit à nouveau Jade, de ce ton neutre, presque insensible qui lui faisait un peu peur, s'il devait être parfaitement honnête avec lui-même. Elle m'a offert un choix très simple : la guillotine, ou le mariage. Aussi étrange que cela puisse paraître, j'ai choisi le mariage.

Abasourdi et consterné, le roi Christian se laissa glisser contre le panneau de bois qui servait de tête de lit, et ferma les yeux dans un soupir las, comme pour oublier ce qu'il avait vu et entendu.

— C'est insensé. C'est votre mère. Celle qui vous a donné naissance, vous a éduquée...

— Dans les familles royales, ce ne sont pas les souverains qui éduquent leurs enfants, vous savez. Ma mère ne s'est jamais réellement souciée de moi, alors j'imagine que le conflit semble alors moins... absurde. Pour mon éducation, j'ai eu d'abord une gouvernante, très douce et chaleureuse. Puis un précepteur.

— J'ai ouï dire que vous avez bénéficié des enseignements de l'éminent Maître Emile Cujas, se souvint le roi, ouvrant un oeil pour guetter la réaction de son épouse, mais celle-ci ne broncha pas. Est-ce vrai ?

— En effet, c'est exact.

— On raconte qu'il s'oppose depuis des décennies au Dévoué Valmec.

— C'est là l'illustration parfaite de la guerre millénaire qui sévit entre Penseurs et Dévoués, répliqua la reine en haussant les épaules, sans jamais cesser de lisser ses longs cheveux de feu d'un geste mécanique de la main. Emile Cujas, en tant qu'ancien Penseur, adorateur du Dieu de la Contemplation Eli dit le Penseur, prône la recherche et la réflexion par dessus tout, tandis que Valmec, Dévoué au Dieu Devon l'Indulgent, base ses écrits sur mille et unes légendes et superstitions. Evidemment que ces deux personnages ne peuvent trouver un terrain d'entente. D'ailleurs, ajouta-t-elle d'une voix soudain enthousiaste en se tournant légèrement vers lui, le forçant à détourner les yeux pour ne pas voir sa poitrine ainsi dénudée, des bruits courts au Palais des Lumières, soufflant que vous auriez vous-même pendant un temps convoité une place au Cloitre des Penseurs. Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis ?

À cette question, Christian de Rochevelle baissa la tête, et cette fois-ci, Jade sut que ce n'était pas par pudeur, par peur que son regard croise une parcelle de chair dénudée. Il y avait là une raison bien plus profonde.

— La reine Katherine, répondit-il d'une voix faible, refusant encore de regarder celle qui lui succédait contre son gré.

Le roi d'Indeya ne put pas voir à cet instant la lueur dorée qui traversa les yeux d'émeraude de Jade, ni le sourire désolé qui décorait ses lèvres. Il était si absorbé par ses souvenirs et ses regrets qu'il ne vit pas non plus lorsque la reine se rapprocha de lui et posa une main sur sa joue, l'incitant à lever enfin la tête. Le visage qu'il avait devant lui lui coupa le souffle. De ses lèvres roses, étirées dans un fin sourire, jusqu'à ses yeux scintillant de sincérité, tout sur le visage de la reine respirait la résignation, et surtout, la compassion.

— Je sais, dit-elle alors simplement.

Et Christian sut immédiatement qu'elle ne parlait plus de l'abandon de sa vocation religieuse, mais bien du plus grand secret qu'il eut jamais gardé en son coeur, ce lourd et douloureux secret qu'il comptait emporter jusque dans sa tombe. Elle, cette femme aux yeux de forêt et aux cheveux de flamme, âgée d'à peine une décennie, venait de le découvrir en l'espace de quelques misérables secondes.

La Table des SeptOù les histoires vivent. Découvrez maintenant