Chapitre 6 : La stratège

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ROYAUME D'INDEYA, PALAIS DES LUMIÈRES

La princesse Jade ne savait que trop bien qu'elle deviendrait reine d'Indeya dans moins de sept jours, et elle était également consciente qu'elle ne connaissait rien de son futur époux, si ce n'est qu'il s'agissait sans nul doute d'un homme extrêmement droit, parfois même frôlant la frigidité. Et ceux qu'elle connaissait encore moins étaient les personnes qui faisaient partie de l'entourage proche du roi ; Jeanne l'Intendante du Palais des Lumières, le Premier Ministre, Guillaume d'Arsénis, et bien sûr, la plus mystérieuse de tous, Gina, l'Ange des Sourires.

Alors, à une semaine de l'accomplissement de son destin lui vint une idée aussi folle que divertissante. Avant son mariage, elle découvrirait qui étaient les principaux alliés du roi. Et il ne se passait pas une journée sans qu'elle ne parvienne à glaner quelques informations, lui permettant par la même occasion de se rapprocher des différents corps de domestiques du Palais des Lumières.

Et lorsque trois coups résonnèrent sur le bois de sa porte, c'est armée de sa ruse qu'elle répondit, de sa plus belle voix mêlant calme et enthousiasme.

— Entrez.

— Votre Altesse, le repas est servi. Sa Majesté le roi Christian et Monsieur le Premier Ministre Guillaume d'Arsénis vous attendent.

— Naturellement, répondit la princesse dans un sourire figé, adressant un regard à travers son miroir à la jeune femme emmitouflée dans sa robe d'uniforme noire au col blanc décoré de boutons d'or. Je m'y rends sans plus tarder.

— Bien sûr, Votre Altesse. Je vous y accompagne.

Quand les deux jeunes femmes se retrouvèrent à arpenter les couloirs côte à côte, en direction de la salle à manger, Jade savait que c'était le moment d'avancer sa première pièce sur l'échiquier.

— Madame l'Intendante du Palais, commença-t-elle avec grande politesse et retenue, tandis qu'elle joignait les mains contre son bas-ventre. Puis-je vous confier quelque chose qui me tracasse depuis voilà quelques semaines ?

— Bien sûr, Votre Altesse, répondit Jeanne d'un ton parfaitement égal. Je suis tout ouïe.

— Eh bien, voilà. Je sais qu'à l'approche de la Table des Sept, des souverains accompagnés de leurs domestiques vont arriver des quatre coins du Continent, et j'ai pour habitude dans ces circonstances de faire quelques emplettes et de collectionner des biens et artefacts étrangers. Mais, ce que j'aime pas dessus tout, c'est les offrir. Je ne suis pas sans savoir qu'en ces temps d'exode, beaucoup de paysans et gens de petite condition se retrouvent déracinés et obligés de vivre dans un pays loin de leurs terres natales. Alors, quand je le peux, il me plait de leur offrir quelque produit originaire de leur pays.

Elle tourna la tête vers la femme aux longs cheveux châtains et une fois qu'elle eut capté son regard inquisiteur, elle déposa le piège qu'elle avait savamment élaboré.

— En guise de trêve, je souhaiterais offrir un tel présent à Mademoiselle Gina, dit-elle, d'un air contrit. Malheureusement, je ne sais de quel royaume elle est originaire. C'est pourquoi je me trouve vers vous, dans l'espoir que vous compreniez ma démarche et puissiez m'aiguiller sur la bonne voie.

— Voilà une bien étrange requête, commenta l'Intendante, sa voix douce prenant des intonations suspicieuses. Sachez d'abord que Gina n'est pas de... « petite condition ». En tout cas, pas de naissance, ajouta-t-elle ensuite, comme se rappelant d'un fait qui lui avait subitement échappé.

— Oh, je suis navrée, s'excusa la princesse Jade, inclinant la tête dans un sourire désolé qui cachait en réalité une fierté maligne. Je l'ignorais.

La Table des SeptOù les histoires vivent. Découvrez maintenant