Jour 101 : l’après-midi
Trois jours. Trois jours entiers que je n’ai pas donné signe de vie à Louis.
Trois jours à me torturer l’esprit, à me demander s’il m’en veut, s’il m’a déjà oubliée, s’il souffre en silence comme moi.Je me sens atrocement coupable. L’impression de l’abandonner me ronge, comme si j’avais effacé son existence d’un simple claquement de doigts. Pourtant, c’est tout sauf ce que je ressens. Je ne peux pas le rayer de ma vie. Mais comment lui faire comprendre que si je garde mes distances, ce n’est pas par indifférence, mais parce que je ne sais plus quoi lui dire ?
Mon écran m’obsède. Chaque minute qui passe, je lutte contre l’envie irrépressible de lui écrire à nouveau. Pourtant, je sais que ce n’est pas ce silence qui me ronge le plus, mais ce que j’ai découvert sur le groupe de la classe.
Les moqueries à son encontre se font de plus en plus nombreuses, et je n’ai aucun doute sur le fait qu’il en a conscience. Chaque fois que je me connecte, il est en ligne, comme s’il attendait quelque chose. Ou peut-être qu’il subit tout ça en silence, incapable de répondre, incapable de fuir cette spirale infernale qui le cible sans relâche.
Je me mords la lèvre, les poings crispés. Pourquoi eux ? Pourquoi toujours s’acharner sur les plus discrets, les plus sensibles ? Ils n’ont jamais supporté Louis, parce qu’il est différent, parce qu’il ne rentre pas dans leurs cases étriquées. Ils se repaissent de sa réserve, de son air détaché, persuadés qu’ils peuvent tout lui faire sans qu’il bronche. Ça me révolte, mais je sais aussi que le mal est déjà fait. Les mots qu’on balance sur les réseaux ne disparaissent pas. Ils s’insinuent, s’accumulent, s’enfoncent profondément jusqu’à marquer une âme à vif.
J’ai essayé de lui écrire. Tenté de lui tendre la main, de lui montrer qu’il n’était pas seul. Mais en retour, j’ai eu un silence glacial. Comme si, moi aussi, je n’existais plus.
Et ça… Ça me fait mal.
Je me raisonne en me disant qu’il est peut-être juste fatigué, lassé de tout ça, de moi, de nous. Mais je ne peux m’empêcher d’avoir ce pincement au cœur qui me rappelle une évidence : il souffre, et je n’en suis pas étrangère.
L’après-midi s’étire, chaque seconde pesante. Mes yeux restent rivés sur mon ordinateur, espérant une réponse, un signe de vie. Rien.
***
Le soir même :
L’appétit me manque, comme toujours. Depuis la disparition de mon père, je mange à peine. Mon estomac est noué en permanence, écrasé par trop de pensées, trop de douleurs que je garde pour moi.
Alors, comme chaque soir, je me contente d’un café viennois. La seule chose qui passe encore sans me donner la nausée.
Je m’installe devant la télé, mais l’écran n’est qu’un flou insignifiant. Mes pensées sont ailleurs, perdues entre mon départ imminent et ce vide que je ressens, quand un bip me tire de ma torpeur.
Je sursaute presque en me ruant sur mon ordinateur. Mon cœur s’emballe, mes doigts tremblent légèrement lorsque je clique sur la notification.
C'est lui ! C'est Louis !
Un sourire timide et tout aussi excitée naît sur mon visage, telle une lumière au milieu d’une nuit sans fin. Ceci dit, à peine mes yeux parcourent-ils son message que cette étincelle vacille.
– Je n’avais pas fait attention à tes messages. Je ne pensais plus avoir de nouvelles de ta part. En ce qui concerne les racontars du groupe dont tu me parles, je m’en fous pas mal, et tu le sais bien.
J
e fronce les sourcils.
Sa réponse est distante. Froide. Presque impersonnelle.Ce n’est pas le Louis que je connais...
Un nouveau bip retentit :
Tu pars dimanche, paraît-il ? Ta mère n’aura pas mis longtemps à faire le nécessaire. C’est bien pour toi, tu vas pouvoir repartir du bon pied chez toi, avec elle. J’espère que le voyage en avion se passera bien.
Mon cœur se serre.
Il savait déjà pour mon départ ? Comment l'a-t-il appris ?
Ce qui signifie qu'il ne m’attendait pas. Il ne comptait même pas sur moi pour lui annoncer la nouvelle.
Son message est neutre, presque détaché, mais je sens qu’il ne l’est pas. Il me fait passer un message, un reproche à peine voilé. Je lui avais promis de le prévenir. J’avais voulu lui donner cette importance-là, et pourtant, il l’a appris autrement.
Je me mords l’intérieur de la joue, incapable de répondre. Louis a raison de me tenir à distance. Je suis celle qui l’a rejeté, celle qui l’a laissé dans le flou pendant trois jours, celle qui s’est murée dans le silence en espérant que tout devienne plus simple.
Je me sens pathétique !
J’ai envie de m’expliquer, de lui dire à quel point je regrette, mais les mots ne viennent pas. J’ai peur de sa réponse. Peur qu’il ne soit plus celui que je connaissais.
Mais avant que je ne trouve quoi écrire, un dernier message apparaît :
– Si tu pars dimanche, j’ai quelque chose à te proposer. Je passe te chercher vendredi soir à dix-neuf heures. Tiens-toi prête ! Je pourrais arriver un peu plus tôt.
Éberluée, je relis plusieurs fois ses mots, incrédule.
Une chaleur douce envahit ma poitrine. Un espoir que je croyais éteint.
C’est lui ! Le vrai Louis, celui qui ne dit pas tout, mais qui agit. Celui qui trouve une fois e plus une manière d’adoucir les choses, même lorsqu'il souffre.
Un sourire béat naît sur mes lèvres. Une excitation nouvelle prend possession de mon corps.
Vendredi soir… Je vais le revoir !
Même si nous savons tous les deux que rien ne sera plus jamais comme avant. Même si nos chemins se séparent inévitablement.
J’ai juste un seul vœu : Le serrer dans mes bras, une dernière fois et savourer l'instant.

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Rock & Love
RomanceHeavan est une jeune lycéenne en proie à la peur du jugement et à un profond manque de confiance en elle. Dans son nouveau lycée, elle peine à s'intégrer et se garde bien de s'ouvrir aux autres, redoutant les préjugés. Sa rencontre avec Louis, un...