Rock & Love

Chapitre 89

Jour 98 : l'après-midi

Je suis lâche dans mes paroles autant que dans mes actes, car après lui avoir dit qu'il fallait qu'on se sépare, je n'ose même pas croiser son regard. Chaque mot prononcé est une épée enfoncée un peu plus profondément dans mon cœur.

J'imagine sa déception, sa tristesse, et je sais qu'elles sont aussi palpables que la brise glacée qui pénètre à travers les murs. Comment entretenir une relation alors que je pars à des milliers de kilomètres, que lui reste ici, tandis que tout autour de nous se brise lentement ?

C'est tout bonnement impossible.

– Tu sais, Louis, ce n'est pas de gaieté de cœur que je te dis ça, que je te l'impose même si j'ose dire. Néanmoins, je ne veux pas que tu restes enchaîné à moi alors que nous ne serons plus l'un près de l'autre. Ce serait égoïste de ma part de faire ça, alors que tu pourrais passer à autre chose. Je ne veux pas que tu te prives pour moi.

Je jette un dernier regard furtif dans sa direction, espérant secrètement qu'il va me répondre quelque chose qui puisse apaiser la culpabilité qui me ronge, mais rien. Louis reste muet, une tension presque palpable dans l'air entre nous. Chaque seconde de silence me pèse comme une chape de plomb.

– C'est courageux de ta part, finit-il par dire, d'une voix qui se veut mesurée mais légèrement tremblante, ceci dit il y a une chose que tu dois savoir, Heavan.

Je n'ose bouger. Curieuse, je lève enfin les yeux sur lui. Le voir ainsi, dans une telle attitude de retenue, me déchire. Je vois dans son regard une lueur d'incertitude, mais aussi une résolution fragile, presque douloureuse.

– Séparé ou non, mon cœur t'appartiendra toujours.

Mon cœur rate un battement et se met à tambouriner fort dans ma poitrine. Pourquoi ne m'en veut-il pas ? Pourquoi est-ce si difficile pour moi de croire qu'il puisse être aussi sincère ? Ce serait tellement plus simple si sa colère me frappait, mais là, c'est un amour désespéré qui me fait l'effet d'un coup de poignard dans la poitrine.

– Tu t'es beaucoup plus confié à moi que moi à toi, alors si on se voit pour la dernière fois, autant que je me jette à l'eau maintenant.

Non, je n'ai pas envie d'entendre ça ! Pas maintenant, pas dans ce moment déjà insupportable où chaque mot devient un piège pour mon cœur. Pourquoi est-ce que Louis complique encore la situation ? Pourquoi il faut toujours qu'il me rende tout plus intense, plus difficile à supporter ?

– Louis, s'il te plaît, pas ça...

Je peux le supplier de bien des manières, je sais qu'il n'arrêtera pas.

– Je déteste les discours, reprend celui-ci la voix est brisée, fragile, alors je vais faire court. Je ne veux pas passer pour le garçon crédule et gnangnan, mais je tiens à ce que tu saches que tu as grandement changé ma vie. Tu m'as rendu meilleur à bien des niveaux, et j'espère avoir fait de même avec toi, même si notre relation a très mal commencé.

Je le fixe, les yeux pleins de nostalgie et de regrets, mais aussi d'une profonde gratitude envers ce garçon qui m'a montré tant de choses sur moi-même, sur l'amour. Il n'a pas idée à quel point il m'a aidée, bien plus que je ne l'aurais cru.

– Elle a plutôt été maladroite au début, corrigé-je avec un sourire un peu forcé, mais rassure-toi, tu m'as donné du courage et bien plus d'amour que je l'aurais cru venant d'un garçon. Je suis désolée de te laisser tomber de cette façon, mais...

– Ne t'excuse pas et ne te justifie pas.

Je veux protester, mais je sens que ses mots sont un ultime effort pour m'épargner la douleur de me sentir encore plus coupable. Je ferme les yeux un instant, ma gorge se serre à chaque mot qu'il prononce, comme si tout ce que je ne voulais pas entendre était exactement ce dont j'avais besoin, mais pas de cette manière, pas dans cette situation.

– Les belles histoires n'ont pas toutes que des happy-end.

Ces paroles sont incisives, mais pas volontairement blessantes. Les larmes montent en moi, tout s'embrouille.

Chaque détail de son visage s'inscrit en moi comme une empreinte que je ne veux pas effacer. Chaque sourire, chaque ligne, chaque fragment de ce garçon que je suis en train de quitter me déchire un peu plus.

Je perçois que tout ce qu'il essaye de faire, c'est me laisser une chance de partir sans regrets, mais c'est trop, c'est bien trop. Je veux m'échapper, je veux m'échapper de la peine que je lui cause. Je veux m'échapper de moi-même.

– Nous serons peut-être amenés à nous revoir, qui sait ?

Louis a raison, tout n'est pas fini. Nous venons tous les deux du même comté, alors peut-être qu'un jour, nous nous croiserons à nouveau. Un mince espoir naît en moi, et c'est ce qui me fait sourire, malgré tout. Ce sourire n'a rien d'heureux, mais il est là, timide, fuyant. C'est tout ce que je peux lui offrir maintenant.

– Tu vois, même en cet instant des plus pénibles, j'arrive encore à te faire sourire, précise-t-il, avec ce petit sourire brisé qu'il essaie de maintenir.

Je vois bien qu'il cache sa douleur, comme toujours, mais il continue de me rendre cette lueur d'espoir que je me refuse à admettre. Peut-être qu'il est déjà trop tard pour nous, mais il continue à faire en sorte que je ne sois pas la seule à souffrir.

– Est-ce que je peux te demander une dernière faveur ?

– Laquelle ? l'interrogé-je, l'angoisse m'envahissant à nouveau.

– Pourras-tu me prévenir quand tu partiras ? Je veux savoir quand tu prendras ton avion.

Sa demande me prend au dépourvu. Pourquoi cette question ? Pourquoi encore cette intention de maintenir le lien entre nous, même fragile ?

– Pourquoi tu...

– Pour que je sache, Heavan. Tout simplement.

Je n'ai pas à lui refuser cela. Il a bien le droit de savoir, même si c'est un dernier lien, un dernier fil ténu entre nous. Je lui promets, le regard honnête.

– Quelle question, Louis ! Bien entendu que je vais te prévenir. Tu restes la personne qui compte le plus pour moi.

Les mots se pressent sur ma langue, mais rien ne peut apaiser l'énorme vide qui se creuse entre nous. Nous ne nous enlaçons pas. Nous nous tenons à distance, en silence, l'un en face de l'autre, chaque geste chargé d'émotions non exprimées, de regrets non dits.

La situation est trop complexe, trop impossible. Rien ne sera jamais plus pareil.