13. Une douce chaleur m'envahit

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Je chasse les souvenirs du passé et avale une gorgée de vin. Le silence s'étire entre nous.

— Putain ça n'a jamais été aussi gênant entre nous

La première phrase de Morgan confirme ce que je ressens. Nous sommes assis non loin de l'autre depuis cinq minutes et j'ai l'impression que chacun attend que l'autre commence. Je sais que c'est moi qui doit me lancer. Je suis le provocateur. Le fouteur de merde, incapable de dominer son désir. Celui qui s'est presque jeté sur sa bouche.

Oui mais quelle bouche! Et tu meurs d'envie de recommencer.

Mais, d'un autre côté, c'est lui qui a demandé ce matin la discussion, non ?

Donc ?

Je ricane nerveusement en vidant cul sec mon verre, ce qu'il déteste. Il veut m'apprendre l'art de savourer le vin. Je pouffe comme si j'étais déjà un peu ivre. J'aimerais bien l'être. Pour pouvoir lâcher prise plus facilement.

— Tu sais qu'en ce moment je discute avec moi-même dans ma tête pour savoir qui de toi ou moi doit prendre la parole en premier.

Il sourit.

— Qui a gagné ?

— Match nul. J'envisage de me saouler aussi.

Il hausse les épaules . Pourquoi je trouve que ce geste est totalement sexy quand il le fait ?

— Moi je me demande si j'ai une chance de te convaincre de me laisser fumer une cigarette. Tu sais que je fume de nouveau alors...

— Hors de question. Laisse tes poumons tranquilles.

— Dictateur. Pour la peine. Je te laisse la joie d'inaugurer notre discussion Derek.

Je lui envoie un petit coup de poing dans l'épaule. On peut plaisanter ainsi encore longtemps. Je me sens comme un joueur de Jenga qui va saisir un élément de bois et risque de faire écrouler la tour. Et de perdre.

— Morgan, pour avancer dans cette discussion, j'ai besoin d'être certain qu'elle ne brisera pas notre amitié.

— C'est évidemment j'y tiens autant que toi.

La sincérité que je devine dans sa voix me rassure.

— Je... c'est grâce à toi que je m'en suis sorti, lorsque Laura a jugé que je n'étais pas assez passionnant pour elle. Elle avait raison d'ailleurs, je le sais maintenant. Ce que nous vivions était très loin de l'amour, de la passion. Nous nous sommes mariés trop jeunes.

— Pourquoi me parles-tu d'elle ?

— Parce qu'il y a peu de temps que j'ai compris. Bref. Je disais que grâce à ta force, à tes encouragements et à ton aide, non seulement j'ai trouvé ce fameux boulot, cet appartement mais aussi et surtout j'ai à nouveau retrouvé confiance en moi. Laura m'a blessé, mis en colère, mais je n'ai pas été détruit grâce à tes encouragements.

Le regard gris acier de Morgan, attentif, ne me quitte pas. Il est totalement sérieux maintenant. Cela m'incite à poursuivre. Je ferme les yeux une seconde et me lance.

— Tu as toujours été mon meilleur ami. Le seul même je pense mais...

Je ne vais pas y arriver. C'est plus fort que moi. Le stress me paralyse. C'est alors que Morgan se rapproche. Il attrape ma main et la retourne. Il contemple les minuscules cicatrices qui émaillent mes doigts. Doucement la pulpe de son pouce passe dessus et les caresse.

— Tu as bien cicatrisé. Ta colère, quelle qu'en soit la cause, n'a brisé que ton miroir. Tu es quelqu'un de très fort Derek. Beaucoup plus que tu ne le penses.Ta peau a guéri. Comme tu as guéri. Je n'y suis pour rien, même si je t'ai un peu aidé en mettant un pansement dessus.

Sa voix basse et tranquille apaise mes peurs et je comprends tout ce qu'il sous-entend. Ses prunelles sont à nouveau fixées sur moi, sur mes mots, tandis que mon poignet est toujours prisonnier du sien. Il semble avoir oublié qu'il me tient et une douce chaleur m'envahit alors qu'il caresse machinalement d'un lent va-et-vient ma paume. Cela m'encourage à poursuivre.

— Il y a un mois, tout a changé pour moi. J'ai rien compris. Je ne sais toujours pas ce qui a modifié ma perception des choses. C'est probablement comme la goutte d'eau de trop qui a fait déborder mes sentiments.

Alors que je me tais deux secondes, pour rassembler mes idées et essayer de déterminer comment lui expliquer que je suis en quelque sorte tombé amoureux de lui du jour au lendemain, il se rapproche de moi, sans lâcher ma main. Mon regard se focalise sur sa chemise en jean. Moins perturbatrice que les prunelles grises devenues plus sombres. Je me concentre sur cette chemise pour oublier à quel point la soirée du réveillon a été douloureuse, à quel point l'envie furieuse que j'avais de virer sa rouquine, pour être celui qu'il toucherait m'avait troublé.

Allez Derek, on se dégonfle pas.

- Ça a commencé le dernier jour de l'année. Le soir du réveillon plus exactement. J'étais agacé. Énervé. Furieux. Jaloux. Et plein d'autres sentiments nouveaux qui m'opressaient et m'ont obligé à partir.

Je saisis  soudain la similitude entre ma fuite et la sienne. L'espoir naît en moi.

— C'était totalement nouveau pour moi. Je ne supportais pas de rester à côté de toi qui tripotais cette rouquine.

La lente caresse sur ma paume s'arrête brutalement et Morgan se fige.

Merde. Ça y est c'est fichu.

— Comment ça jaloux ? dit-il assez sèchement, Si tu appréciais cette femme, il te suffisait d'un mot, tu le sais !

J'ai une dernière chance de me sauver, une dernière chance de me cacher. J'inspire lentement. Puis les mots m'échappent. Irrémédiables.

— Pas jaloux de toi Morgan. Jaloux d'elle. Jaloux de tes mains sur elle. Et depuis ce jour-là, je ne pense qu'à cela et lorsque...

Je ne me suis pas aperçu qu'insensiblement nos corps se sont rapprochés. Nos épaules, basculées en avant, se touchent presque et son visage si harmonieux se trouve à quelques centimètres du mien. J'essaie de rassembler les quelques idées qui surnagent dans un océan de désir et de tentation.

— ... lorsque je suis près de toi, j'ai envie...

Mon visage, ou le sien, s'approche un peu plus. Son parfum boisé me parvient et m'envoûte. Je ne peux plus que chuchoter doucement, craignant de l'effrayer.

— ... envie de te

Je ferme les yeux, ma joue frôle la sienne. Enfin.

— ... te toucher. De t'embrasser

Ma gorge se serre en prononçant ces derniers mots qui écartent l'hypocrisie de ce dernier mois. Mon cœur s'arrête de battre dans ma poitrine. J'ai fait le premier pas. Le premier geste. J'ai ouvert mon cœur et j'ai peur. Une peur me paralyse alors que je contemple, de plus près que jamais, le visage toujours figé de l'homme qui me hante.  Ses prunelles devenues noires me transpercent.  La douce chaleur provenant de sa main tenant la mienne est devenue une brûlure, un espoir aussi : Morgan n'a pas reculé, il ne m'a pas lâché alors qu'il sait maintenant pourquoi je l'ai tenté avec cette putain de part de pizza. Plus jamais j'achète ou ne mange même de pizza.

Morgan pourquoi restes-tu muet ? Morgan pourquoi ne m'embrasses-tu pas ?

𝙹𝚞𝚜𝚝 𝙻𝚘𝚟𝚎 | BxBOù les histoires vivent. Découvrez maintenant